20. nov., 2020

Il peccato

Un peu de beauté pour illuminer nos journées “Il Peccato” - Michel-Ange

Vu dimanche 25 octobre, le film monumental d’Andreï Kontchalovski ... Ciselé tout en finesse, il ne s’agit pas de montrer le Maestro en train d’œuvrer dans la Sixtine, ou de peaufiner son David... Non. C’eût été trop simple.

Jamais ne le voyons-nous à l’œuvre réellement si ce n’est dans les coulisses de la création : trouver l’argent nécessaire et la matière première tout en changeant de mécènes et de projets constamment pour suivre ses ambitions herculéennes. Son œuvre le dépasse, d’ailleurs il le dit à Jules II : c’est en moi, ça vient tout seul.

Tout fonctionne par esquisses : il peaufine le genou du Moïse pour la sépulture du pape Jules II qui durera 40 ans et ne sera jamais achevée, l’amorce du Requiem de Verdi, la seule musique possible monumentale effectivement — est reprise comme leitmotiv mais n’est jamais développée, on reste suspendu aux premières mesures de l’Introït. Le non-dit est plus important, la suggestion. C’est un film sur le temps. Il nous donne l’idée des cinq années à Carrare pour acheminer “il mostro” : un bloc de marbre colossal, le plus gros jamais extrait d’un seul tenant, qui est au cœur de l’œuvre. Ce monstre d’un blanc éclatant, matérialise son obsession pour le gigantesque et devient le symbole de sa déraison et restera suspendu à flanc de montagne, dans le vide, puis en attente dans le port de Carrare. C’est l’attente, le temps perdu, suspendu et gaspillé ne serait-ce que pour acheminer ce marbre à Florence qui est effarant.

Je m’étais fait cette réflexion au cœur de la montagne de Carrare que j’ai eu la chance de visiter, c’est inimaginable de concevoir avec les moyens techniques de l’époque de telles prouesses. On ne peut s’empêcher de penser que si Michel-Ange avait eu nos moyens techniques, c’est pourtant impensable...

La Toscane du XVIème siècle est également protagoniste du film : on voit Michel-Ange tel un vagabond en haillons déambuler sur les “strade bianche” du Val d’Orcia, ces Crêtes Siennoises ourlées de cyprès qui sont elles-mêmes des tableaux Renaissance mis en abyme faisant partie intégrale de l’œuvre. On sent la viande, la sueur, l’urine, le sang, le vin des tavernes, la pestilence des rues de Florence... on voit les pustules des pieds du successeur de Jules II, le capricieux Léon X de Médicis.

Kontchalovski ne triche pas, il prend des vrais sculpteurs de marbre qui parlent le dialecte local et non des acteurs, on les voit même manger de l’extraordinaire lard de Colonnata... dont la blancheur légendaire fait écho au blanc si particulier de Carrare. On parle en espèces sonnantes et trébuchantes : florins et ducats. Les visages sont ceux que l’on retrouve sur les murs de la Sixtine, des traits tourmentés... sculptés, c’est dans les œuvres de Vinci et de Michel-Ange qu’il a puisé son esthétique. Un très grand film presque sculpté tout en demi-teintes nous livrant une fresque réaliste des conditions misérables dans lesquelles vivait le génie, un mythe de Sisyphe, toujours dépassé par le gigantisme de ses projets. La palette oscille entre les couleurs chaudes terrestres et Dantesques des ocres, terre brûlée, les bruns et le rouge de la terre de Sienne, et la lumière blanche, céleste, éclatante - divine - illuminant les carrières de Carrare et de Pietrasanta - Pierre Sainte, ça ne s’invente pas.

De la laideur et de la crasse, Michel-Ange fait émerger la Beauté : une main de femme (dans une charrette) d’une volupté inouïe lui inspirera celle de sa vierge dans la Pietà... le visage de la Madone émerge de la même jeune femme aperçue dans la carrière dont la beauté virginale et la blancheur marmoréenne donneront le visage de sa Pietà. Bouleversant.

P.S 1 : Alberto Testone incarne parfaitement il Maestro dont les traits sont identiques au portrait exécuté vers 1535 par Jacopino del Conte. Et chose extraordinaire, il ressemble physiquement aux Ignudi de la Sixtine et autres personnages en contrapposto, recroquevillés dont les muscles saillants peints par Michel-Ange s’admirent davantage comme des statues tri-dimensionnelles peintes plutôt que de la peinture sur fresque.

P.S 2 : Le film ressortira dans les salles après le confinement.

Nathalie Monsaint-Baudry, lundi 2 novembre 2020

 

Nathalie MB

https://ccfi-nantes.org/wp-content/uploads/2020/11/5-Il-Peccato-Michel-Ange-Nathalie-Monsaint-Baudry-per-Gazzetta-Nov-2020-1.pdf