L’ANGLAIS EST UNE LANGUE SUPER-GLUE

L’anglais est la langue de la juxtaposition. Cela permet de coller au plus près au sens exact sans laisser la moindre ambiguïté, de l’ordre de la « super-glue ».  C’est-à-dire que le référent colle au référé, le contenant au contenu, le signifiant au signifié. Tout est air-tight comme dans un conteneur tupperware bien scellé. Il n’y pas de jeu possible.

Je prends comme exemple le slogan publicitaire pour désigner la marque de voiture allemande BMW, qui est The ultimate driving machine C’est-à-dire que la fonction crée le nom. La carte American Express est bien connue à travers la formulation publicitaire : The-don’t-leave-home-without-it-card Un «  ATM  » ou distributeur de banque automatique est littéralement : an Automated Teller Machine ou bien a cash dispensing machine.  De même un all-you-can-eat buffet est un buffet où l’on se sert à volonté, c’est exactement ce que cela veut dire, où l’on peut manger, se servir à satiété. Le mot correspond exactement à la chose et à l’utilité, ou la fonction que l’on attribue à celle-ci. One-size-fits-all,  c’est exactement cela aussi : un vêtement qui s’adapte à toutes les tailles, et du fait des proportions d’un all-you-can-eat buffet,  les tailles vont vers l'expansion. Les mots collent au plus près de la réalité.

Tout est nommable et fabricable selon la fonction que l’objet accomplit : a cutting device pourrait être un couteau par exemple, et si l’on voulait être plus précis, on pourrait dire : an articulated cutting device pour signifier des ciseaux, a collapsible table, une table pliante, cela serait compréhensible en anglais où un néologisme se crée avec facilité. Un stylo est un writing instrument. Par exemple : a mass transportation device pourrait être un bus et on l’abrègerait sous la forme de «  MTD  » puisque l’anglais a la passion des shortcuts, des raccourcis, et a horreur de passer par quatre chemins contrairement au français. Il est évident que ces terminologies à rallonge demandent qu’on les abrège ! Ainsi, par exemple, avons-nous généralement adopté sous le terme «  OGM  », la traduction anglaise Organically Modified Organism.  Bien triste et réducteur est le terme anglais correspondant à vigneron : winemaker. Le vigneron de mon village fut affligé de constater qu’en anglais, son métier se résumait à n’être qu’un « fabriquant » de vin ! Comme si encore ici, tout n’était que process. Impossible d’encapsuler dans le terme winemaker l’art et la manière, la pluie et le soleil, la magie, le terroir, l’alchimie, l’effervescence et toutes les couleurs dégoulinant du terme vigneron.

L’ANGLAIS EST LA LANGUE DE L’ACTION

Ce n’est pas l’objet en soi qui importe mais l’utilisation et l’action ou la fonction qu’on accomplira avec l’objet et ce qu’on en fera. Un pain killer est un antalgique, coffee grinder un moulin à café, et grass-hopper est une sauterelle. On constate qu’en français, l’action et le verbe sont très lointains, sous-entendus, alors que le signe linguistique en anglais contient en lui-même le sens de l’action au niveau de la dénotation. A business card c’est plus parlant que carte de visite, billet qui autrefois signalait le passage d’Untel. Avec «business», il n’y a pas de hidden agenda,  les coordonnées servent à mettre les gens en contact pour favoriser le networking et non pas pour rester lettre morte. Il y a quelques exceptions qui me laissent perplexe, où le français reste au niveau de la dénotation renvoyant à la description de l’action par la juxtaposition du verbe et du complément d’object direct. Par exemple, en français, «  un ramasse-miettes  » sera traduit en anglais de façon plus élégante et plus poétique avec Silent Butler (majordome silencieux). Également, a Lazy Suzan (Une Suzanne paresseuse), est un tourniquet ou plaque tournante pour épices. Le terme est apparu en 1917 dans le magazine Vanity Fair auparavant on appelait cela un Dumb Waiter (un serviteur idiot).

Parfois avons-nous des traductions littérales : «  boîte à outils  » se traduit exactement de la même façon : tool box et l’on reste au même niveau de dénotation sans gagner en épaisseur, la trame textuelle n’est pas brodée. Je pense au terme américain qui sert à décrire les premiers mouvements qu’une future maman ressent en elle, des butterflies, c’est très poétique et plus élégant que la paraphrase française, l’anglais est plus subtil avec la métaphore des battements d’ailes de papillons exprimant les frêles déplacements du fœtus in utero. Mais dans l’ensemble, la terminologie et l’utilisation des mots composés affadissent le signe linguistique : la naphtaline, c’est nettement plus joli que moth ball, et tirelire sonne mieux que piggy bank.

Parfois, sommes-nous presque dans le calque à une nuance près, mais quelle nuance fondamentale dans l’approche : praying manta est une mante religieuse. Une fois de plus, l’anglais opte pour l’action de la prière alors que le français préfèrera l’état d’être, l’essence du sujet plutôt que l’action accomplie par le sujet. Lors de la visite d’un bien immobilier pour en faire «  l’état des lieux  »,  en anglais, on dira que l’on procède à un walk-through privilégiant l’action et la dynamique à la description statique comme le terme «  état  » le révèle. Quand on parle anglais, on est plus engagé et plus actif qu’en parlant français. Dans les années 90, les sciences «  dites  » de l’Éducation empruntèrent à l’anglais cette capacité d’agglutiner et d’emboîter des verbes d’action au lieu d’utiliser des substantifs, par exemple, un ballon devint un «  vecteur quantitatif rebondissant  » de l’anglais a quantitative bouncing vector. Tout   comme l’élève devenait l’apprenant ( learner) un vecteur pédagogique ( learning device ) était tout simplement... une règle pour pointer au tableau ! Cela ne marche pas en français et n'a pas changé la dynamique interne.