WORK HARD, PLAY HARD

What do you do for a living  ? Question de dynamique

« Aucune impression n’assaille aussi promptement le visiteur arrivant aux États-Unis que celle de la prépondérance écrasante, partout où il se tourne et se retourne, du visage impérieux de « l’homme d’affaires », passant par toutes les intensités de ses diverses possibilités, de ses extraordinaires réalités. Et je ne parle ici que des traits, de l’expression faciale, en laissant de côté les questions de voix, de ton, de prononciation et d’attitude. » 1


1 James, Henry, La Scène Américaine, 1907. Minos, la Différence, 2008, pages 115 et 167.


« La grande différence avec le spectacle américain étant qu’aux États-Unis tout le monde, pour la lubrification de la machine générale, participe pratiquement à tout, tandis qu’en Europe, pour l’essentiel, ce ne sont que certaines personnes qui participent à certaines choses ; de sorte que la machine, beaucoup moins généralisée, fonctionne d’une façon plus restreinte et plus rigide. »

WORK HARD, PLAY HARD

La description de l’homme d’affaires par Henry James qui annonce l’arrivée d’un nouveau métier, telle une nouvelle race d’hommes au début du XXème siècle reste valable aujourd’hui. Parce que les Américains sont dans le Faire et non dans l’Être, ils peuvent exercer des métiers différents et s’adaptent à l’exigence de la loi économique du moment comme nous l’avons dit. Les gens changent alors de métier facilement en Californie. Travailler est la norme. En large partie, ce que l’on fait, définit qui l’on est pendant le temps que l’on occupe cet emploi, ce qui ne signifie pas que vous soyez momifié dans une profession pour la vie. C’est l’endroit où l’on rencontre des métiers quasiment inexistants ailleurs. [...]  Ici les métiers les plus improbables existent et se rencontrent de façon horizontale. En France, on fait carrière en tant que professeur, avocat, médecin, artisan, commerçant, cadre supérieur, fonctionnaire. On «  montera  » dans la hiérarchie. On procède en verticalité. L’éventail reste assez mince et prévisible. À Los Angeles, les gens se créent des métiers sur mesure, créent une demande, un besoin. Ou bien ils travaillent pendant quarante ans et à l’âge de leur première «  retraite  »,  ils commencent une deuxième carrière pour vingt-ans.

J’ai rencontré Bob Schiffer, en 1984, dans son studio chez Disney. Il était le make-up artist légendaire - pendant près de 70 ans - il a donné le style des années 50 à Rita Hayworth, il l’avait connue pendant ses périodes sombres et était capable de lui redonner un visage heureux grâce à ses talents. C’était encore l’époque où le maquilleur avait un rôle d’artiste, tout comme le métier de Pina, still photographer, qui a disparu depuis que Photoshop permet aux acteurs de se présenter sur le set nude ou au naturel comme on dit en Californie. Sachant que tout peut être retouché ou photoshopped a posteriori.  [...] Il était le responsable «  des effets spéciaux, des cheveux et du maquillage  » chez Disney. Au début des années 80, j’eus besoin de trouver des têtes réalistes ( don’t ask )... en fait pour faire des tests pour une société qui concevait des lunettes sur mesure. [...]  Dès le début des années 80, l’ère de la customization est née. Je savais que je pouvais trouver mon bonheur chez Bob Schiffer qui nous avait ouvert la porte en personne. C’est ça l’Amérique. On ne perd pas son temps, on passe un coup de fil, on prend sa voiture, et l’on conclut un deal.   Je me souviens avoir visité son entrepôt : des milliers de monstres en latex, c’était encore mieux qu’au cinéma. J’ai encore imprimée en mémoire la loge et très précisément le fauteuil pivotant où il maquillait les acteurs. Il m’avait donné des têtes d’acteurs tellement réalistes (dont une de Barbara Hershey) si bien que posées sur la plage arrière de ma voiture, elles déclenchèrent des réactions amusantes sur le freeway (I can explain !). Comment décrire les scènes quotidiennes dans la ville de Chatsworth,  devant cette société dont j’ai oublié le nom, qui fabriquait des montagnes en polystyrène pour les décors de set des studios de cinéma… Oui, c’était leur spécialité, ils étaient peut-être le leader mondial des montagnes en polystyrène. Je voyais sortir les employés au quotidien portant chacun une montagne sur chaque main pour les charger dans un camion.


TOUT CHANGE, TOUT FLUCTUE ICI

Vers Santa Barbara, à Los Olivos, vous trouvez encore chez  Baron Hats,   le supermarché de chapeaux de cowboys le plus prisé des États-Unis. Une institution où l’on trouve tous les styles de chapeaux, encore faits sur mesure. C’est ici qu’Hollywood vient toujours se servir pour ses productions. Les styles bien connus de  Fedora Indiana Jones, Stetson, Gatsby,  etc. Vous en sortez vêtu de la tête aux pieds comme un véritable cowboy,  chaps and all.

À  Warner Park,   sur  Woodland Hills,  parc public qui appartenait à la société Warner Brothers, dans la Vallée de San Fernando, sorte de décor naturel très souvent utilisé comme set de tournage de films dans la journée pour les besoins duquel tous les noms de rue étaient modifiés. Ceci causait la plus grande confusion pour les résidents qui comme moi, rentraient le soir sans reconnaître les noms des rues. Madonna y tourna  Desperatly Seeking Susan   au Promenade Mall par exemple. Ainsi, pouvais-je traverser les années 40 dans la journée. L’expression courante ici pour décrire que ce qui est et ce qui se passe est typiquement L.A. et est intraduisible ailleurs, est la suivante :  Only in L.A., it’s so L.A.  !

Dans la résidence, Warner Villas, les corbeilles autour de la piscine étaient pleines de scripts tous les soirs... parce que quasiment tous les résidents étaient des  script writers.  Cela me permit d’en lire quelques-uns. Il suffisait de les extraire des poubelles que j'avais rebaptisées :  «  récipients de scripts  ».  Tous ces gens travaillaient, étaient abonnés à  Variety  et payaient réellement leurs factures dans cette irréelle réalité de Los Angeles. Pourquoi n’était-ce pas perçu comme réel vu de l’extérieur ? Leur  unglamorous   réalité de petits boulots,  gigs,  mis bout à bout, à l'instar des  aspiring actors  qui enchaînent les rôles de figurants,  extras,  gageant leur existence entière au Mont de Piété, tels les joueurs de Poker de Las Vegas. La notion du temps se dilatant dans une vie suspendue à la perfusion hollywoodienne, ces visages sans âge, se voient accepter docilement et multiplier de front les emplois les plus divers, pour arrondir les fins de mois ou simplement pour vivre en attendant le plus improbable grand jour :  to make it in Hollywood.   C'est possible dans un pays neuf qui se fait encore des illusions.   Je connus un anesthésiste qui changea de métier du jour au lendemain pour devenir agent de change en bourse... pour redevenir anesthésiste suite à la crise financière. Tout change et tout fluctue ici.