Quelques paragraphes de mon chapitre Angelena

Vous aurez peut-être déjà lu certains extraits de mon chapitre sur la Femme Américaine publiés dans l'Express sous formes de vignettes : Angelena

VOICI QUELQUES EXTRAITS INÉDITS SUR LES CATÉGORIES DE FEMMES...

DE L'AVÈNEMENT DE LA ROUSSE, FEMALE, DES DENTS BIEN RANGÉES, SIGNIFICANT OTHER, JERSEY PANTS, COUPONS ORGANIZER, EXPIRATION DATE & OIL OF OLAY, ETC...

Le téléspectateur français aura remarqué la déclinaison des tryptiques de femmes depuis le Charlie's Angels des années 70, via la version 2000. La crinière blonde permanentée de Farrah Fawcett est détrônée par la diversité. Chaque série télévisée aura désormais un archétype roux, la rousse de service sera souvent flanquée d'une blonde, not so blonde et d'une brunette, ou d'une latina plus brune que brunette : Eva longoria. On incluera bien entendu les types latinos, asiatiques reflétant la mutation de palette de la société américaine en incarnant leur ascension sociale. 

L'impeccable - manicured  and immaculate - Bree Van de Kamp - dont le patronyme à consonnance européenne la situe dans la catégorie upscale, HMF, collier de perles, pourrait être LA californienne. Elle est l'homologue de Miranda Hobbs, la rousse de Sex and the City, l'intello version côte Est. Les deux sont constamment vêtues de violet, de vert, de mauve, de beige, limite vieux rosecolor coordination absolue respectée à la lettre. Le bouleversement capillo-chromatique commença avec Julianne Moore qui remplaça Jodie Foster, introduisant cette couleur désormais minoritaire, donc réhaussée dignified, rappelant les origines irlandaises, teint blanc porcelaine, freckles. Minorité oblige.

HIGH MAINTENANCE FEMALE

La femme américaine n’est pas féminine, elle est female. Dans un formulaire où l’on vous demande de renseigner votre sexe (gender), le choix se présente entre mâle ou femelle. On comprend fort bien que le côté reproducteur et organes sexuels secondaires seront accentués d’où les augmentations (ou réductions) de poitrine - ou autre Body parts body part-butt lifting, chin tucking... implants de silicone. La lutte contre la gravité est constante. On combat le flasque, l'affaissement, le sagging. Les hair extensions augmentent instantanément la longueur des cheveux artificiellement et les faux ongles/ faux nails, en acrylique lui confèrent des griffes. Elle pourra également allonger ses cils, blanchir ses dents, porter des invisible braces pour les redresser, blondir ses cheveux encore plus blonds, lisser ses rides autour d’une tasse de thé pendant une botox party, se faire tatouer du permanent makeup. Pourtant, elle se rase comme un homme pour s’épiler, ce qu’une Française trouvera contre-nature, assurant ainsi une repousse plus drue et une augmentation de sa pilosité tout au long de sa vie. Ce qui indique une vision à court terme et une gratification instantanée, instant gratification, extrêmement éphémère...

DES DENTS BIEN RANGÉES

Parce qu’elle passe sa vie à organiser et à ranger, cette obsession se lit sur son visage avec la perfection de l’alignement de ses incisives étincelantes, brillant d'un émail immaculé, et toujours affichées dans ce sourire inattaquable, irréprochable, radieux, insondable autant qu’infranchissable. C’est un Himalaya hermétique au-delà duquel vous n’êtes pas invité. Tout est déjà dit dans ce sourire justement pour ne pas vous hasarder à aller plus loin : don’t even try. C’est une redoutable barrière défensive d’un extraordinaire aplomb, face auquel le Français se trouve toujours désarmé. En matière de quenottes, le Français ne joue pas dans la même cour. Comment faire face à un tel sourire ? Impossible d’y implanter un base camp. Quel est le sens de ce rictus désarmant ? Desarming smile ? Est-ce pour cacher un manque de confiance profond ? Est-ce pour « montrer les crocs » ? C’est-à-dire que derrière ces dents blanches, se trouve une ténacité bien américaine ? Tout comme les branches d’olivier et les flèches de l’effigie du billet vert, l’aigle est prêt à négocier dans un premier temps, puis à répondre par la force dans un deuxième temps. On montre le sourire d’abord, on sort les crocs ensuite. Ou bien, est-ce pour garder la blancheur d’un émail enfantin, de dents de lait inaltérables et imperméables au temps, résistant aux attaques des sucreries et ramenant vers l’enfance à tout prix ? 

En Amérique, il y a une obligation d'avoir de belles dents. Vous l'incluez dans votre budget au même niveau que votre remboursement de prêt immobilier. C’est votre première carte de visite. Cela ne date pas d'aujourd'hui puisque ce phénomène est déjà évoqué par Henry James dans La Scène Américaine, en 1907. Le « sourire californien » « exposant plus ou moins largement en cubes de précieux émail […]. Tout le monde, dans la « société », a de bonnes, belles, solides dents, et surtout les chérit et les entretient ; de sorte que le spectacle, qu’offrent fréquemment les autres sociétés, d’étranges protubérances, carences et caries, crocs, défenses et cavités, est absent d’une manière fort rafraîchissante et consolatrice. »

L’importance des dents blanches affichées au centre d’un sourire généreux n’est pas la résultante d’une prouesse médicale récente, ni d'une hygiène bucale exceptionnelle, elle est documentée depuis au moins le XVIIIème. Elle révèle quelque chose de plus profondément ancré dans la personnalité américaine...

SIGNIFICANT OTHER

Son partenaire/mari, life partner, sera connu et présenté comme son significant other, sa moitié-significative heureusement ! C'est mieux que insignificant. Cela veut dire qu'il a « une place » occupe une catégorie, good provider, voire excellent provider, such a great husband, a super dad, high-achiever, loser, fixer upper, etc. Il est pourtant souvent falot, retranché dans son garage (voir l'homme américain Place de l'homme). La vie sociale s'organise alternant des week-ends exclusivement entre femmes par exemple, des pajama parties (fêtes en pyjamas) et des soirées au cinéma entre femmes, sous prétexte qu’hommes et femmes n’aiment pas les mêmes films : les romantic comedies étant pour les femmes et les films d’action pour les hommes. [...] La vie doit glisser sur la peau ne laissant aucune aspérité, comme si le palimpseste cutané restait vierge, waterproof et amnésique du  passage du temps. Une peau sans histoire. Comme la terre qui ne permet pas l'enracinement. Ville de surface

JERSEY PANTS

L’Américaine abandonne et capitule aussi, she has given up. Selon les stades de sa vie, et surtout si ses moyens financiers sont limités, elle ne se teindra plus les cheveux, ne se maquillera plus, portera des vêtements jersey pants de mauvaise qualité de chez Sears, Kmart, JC Penney, voire d'un consignment store et ressemblera plus ou moins à un homme avec des Tshirts trop larges et mal taillés. Ou bien, elle n’aura aucun complexe à faire ses courses en bigoudis, jogging défraîchi, chaussons, cheveux trop violets par excès de shampoing bleuté-déjaunissant-pour-cheveux-blancs qu’on aura laissé poser trop longtemps, peu importe. Comme le sens du ridicule n'existe pas en Amérique Le sens du ridicule, et que ni la conscience esthétique, ni la faute de goût ne font partie de l'air environnant, tout est possible et tout est permis. On ne se pose pas la question de l'effet produit sur autrui. J’ai toujours trouvé triste la vieillesse aux États-Unis et vieillies avant l’âge les femmes américaines.

On les perçoit à peine, fantômes de supermarchés aux heures creuses, poussant un immense caddy vide et trop grand pour elles, faisant office de déambulateur. Happées par leur errance chronique, au détour des rayons de nourriture congelée dont elles font le plein au cas où... il faut bien le remplir ce grand réfrigérateur. Téléguidées par les promotions de la journée, elles préparent leurs liasses de coupons triés dans leurs organizers, par dates de péremption, ou expiration dates, comme si elles repoussaient et organisaient leur propre date d'expiration, brandissant à la caisse-scanner d'authentiques billets verts. Se montrant fières et dignes d'en tenir la comptabilité pour ne pas s'avouer dépendantes de food stamps... de ne pas y perdre au change, ce qui serait une capitulation de leur nature américaine. Elles avouent bénéficier de Medicare à 65 ans, c'est déjà un luxe. Elles auront fait le plein de potions sans ordonnances : OTC (over the counter) pain killers, arthritis medications et de vitamin supplements Centrum Silver +++... de Campbell's chicken noodle soupsupposé être le remède contre le rhume, de prune juice, pour les fibres, an apple a day keeps the doctor away, et de leur crème Oil of Olay.

Leur conduite aléatoire, saccadée, et dangereuse sur les routes ne passe pas inaperçue tant le pied droit a du mal à appuyer sur le frein ou à accélérer pour dompter l'automatisme du véhicule. Le corps tellement ratatiné par l'ostéoporose, laisse quand même parfois un crâne dégarni émerger au volant d'une vieille Pontiac trop grande qui a englouti tout le reste... elles sont comme allongées un grand corbillard qui glisse le long de votre propre véhicule... parfois d'immenses lunettes de soleil mangent tout le visage, dernier signe d'excentricité et donc de vie encore possible. 

Les rhumatismes sont moins perceptibles sous le climat méditerranéen parfois subtropical californien, qui attire toujours le plus de senior citizens. La Floride, le Nevada, l'Arizona sont les autres retirement communities les plus prisées des États-Unis. Le prix du soleil à payer reste très cher. Tout se paie, carcinomes de la peau... Ce qui compte, c’est qu’il y ait du jeu. Tant qu'il y a le rire, la vie est là. Les Américaines jouent et rient beaucoup. Elles rient aux éclats. Je ris plus aux États-Unis qu’en France. La France, c’est du sérieux. Fini de  rigoler. Mais je me sens plus femme en France qu’aux États-Unis.

«Elle était installée là, elle se promenait et parlait, elle mangeait et buvait, elle écoutait de la musique, dansait à ses accents, et sinon s’amusait et traînait, achetait et vendait, allait et venait selon ses propres termes splendides, dans la splendeur matérielle environnante, dans un tableau élaboré, sur un arrière-fond riche et varié, qui pouvait bien la nourrir des plus belles illusions sur elle-même.»

James, Henry, La Scène Américaine, 1907. Minos, la Différence, 2008, page 167.