DE QUELLE AMÉRIQUE ?

MON AMÉRIQUE

Je n’ai pas l’intention de parler de l’Amérique en général. Mais de celle que j’ai bien connue au fil des années, alternant les longues périodes de prospérité avec des récessions. [...]

J’ai pris la mesure des dimensions de cette immensité. Mon « aperçu » des États-Unis est bien évidemment plus vaste que la Los Angeles que j’esquisse dans ces lignes. Restituer l’essence même de Los Angeles en l’auscultant à travers mon regard, dissociée du reste de l’Amérique, en tant que ville à part et sans commune mesure fut mon angle d'attaque. Elle est d’ailleurs considérée comme telle par le reste de l’Amérique, un État à part.

Je passe encore du temps à Los Angeles, entre la France et l’Italie. C’est l’Italie qui me donne une troisième voie possible entre l’alternative : France/Californie, et me permet une mise en perspective sur cet « ensemble des choses » dans cette relation triangulaire. Cette brêche permet d'échapper à la comparaison systématique binaire. Il faut bien « en sortir » un jour, et « s’en sortir » pour réussir,  qui se traduit en italien par un seul et même mot : riuscire.  

C’est à travers ces prismes spaciaux-temporaux-linguistiques, que je livre mes impressions, mon point de vue sur Los Angeles. La ville s’offre ainsi : de façon kaléidoscopique. Je n’ai pas construit ce livre selon une norme. J’ai tout simplement jeté mes souvenirs et mes impressions, traçant mon chemin comme on passe du Comté de Los Angeles, au Comté d’Orange, sans transition. En suivant l’autoroute 405 ou la 5 du nord au sud, d’un bloc à un autre et en vrac, sous forme abbozzata, d’esquisses. Écoutant mes émotions, les flots de conscience affleurant avant que ma raison ne vienne y mettre de l’ordre. Des parfums appelant des bruits. Sans lien apparent ni volontaire, sous forme d’associations d’idées à l’emporte-pièce. Ainsi, suis-je certaine d’être au plus près du réellement vécu. Au bout du compte, c’est ce qui importe : garder l’essentiel de l’émotion avant que le temps ne l’émousse. C’est pour cette raison que je devais écrire maintenant ayant laissé au temps le soin de décanter les « choses » juste ce qu'il fallait, sans pour autant les dénaturer. Je dus me réapproprier ma langue maternelle dans ce temps dilaté tout en conservant une acuité sensorielle suspendue dans ces lignes.

CADRAGE

Je suis une femme française, naturalisée américaine, maman de deux garçons nés dans la Ville des Anges, ma vision est naturellement filtrée, subjective, de gauchère aucunement contrariée, biaisée et féminine. C’est une perception vécue, transpirée, respirée, traversée, inspirée et évidemment humaine. Une Monade peut-être, au sens où Leibniz l’entendait comme individualité complète du corps, de l’âme, capable d’un point de vue sur le monde étant ainsi un monde en soi. Néanmoins, j’ai « des fenêtres et des portes » ouvertes sur le monde, alors que la Monade de Leibniz est isolée, dans une inclusion, sombre, tapissée de noir, qui exprime son « petit département » du monde. Alors puisqu'une Monade seule ne peut prétendre connaître ce monde tout entier, son amplitude d'âme étant trop étriquée, et bien, j'accepte d'en éclairer l'intérieur pour vous offrir ma petite interprétation de ce « quartier » du monde.

Pas de cartésianisme dual, pas de censure des sens par un examen rigoureux de la raison qui aurait le dernier mot. Pas de théorie mais du vécu, du vécu, et encore du vécu... revisité par les années. Les émotions jaillissent, les petites perceptions, et ensuite, et seulement ensuite, on retrouve la théorie distante, parfois arrogante, mais éclairante. C’est la démarche inductive que je préfère à la voie de la déduction.

Les Angelenos sont tous porteurs de leur ville, à leur façon, West Hollywood n’a pas grand-chose à voir avec le Comté d’Orange, cependant tous deux font partie intégrante de la région « dite » de Los Angeles. Le lecteur comprendra les anamorphoses ou représentations excentrées voire déformées de prime abord, qui lui demanderont une mise au point afin de regarder la représentation depuis la singularité de mon point de vue décalé, depuis mes raccourcis sur la ville.