DÉSAMBIGUÏSATION

LE SENS DE LA CLARIFICATION 

La langue anglaise, plus digitale qu’analogue, permet de diviser le réel en deux : oui ou non, blanc ou noir, bon, pas bon, tout est  clear cut   ou  crystal clear. Cf. chapitres suivants : Paper or plastic? Zone de gris Oversimplification Café, decaf, non-fat) L’Histoire de l’Amérique et de la Ségrégation qui divisait la société et séparant les Blancs des Noirs, clarifiait et opérait un « tri » de la réalité sociale. White only, Colored people only. Il n’y a pas à tergiverser. Le passage au crible est un réflexe américain. C'est après tout et on comprend pourquoi, le pays du Container Store, des Ziploc, du Tuperware, de PowerPoint, Excel, du QCM, des organizers, etc... 

Une chose, ou une situation ne peut s'analyser comme étant soit American or un-american, legal or illegal, right or wrong, legitimate or illegitimate. Une question appellera une yes or no answer. Cash or credit, paper or plastic, for here or to go, black or white, regular or decaf, regular or non-fat, either/or...In or out... Are you with us or against us? Il faut prendre une décision bien tranchée, binaire, d'où la construction du decision tree. Le français préfère les nombreuses ramifications de l'arborescence, il a horreur de trancher dans le vif, expression douloureuse s'il en est !  L'anglais est la langue de prédilection pour le dressage les animaux, ou celle entre pilotes de l'air pour communiquer partout sans ambiguïté. Mal à l'aise avec le flou, l'Américain ne peut saisir par exemple, le concept de la brouille à la française en amitié. Il ne peut que la nommer par la paraphrase suivante : we have not been talking for a while. Le français, tout comme l’italien et l’espagnol, est une langue analogique. Nous faisons le tour de la question, alors que les Américains sont bottom-line oriented. Sujet-verbe-complément-Point. Nous commençons une phrase par un sujet, un verbe et nous ajoutons des compléments, des subordonnées pour décrire de façon naturelle ce que nous voulons raconter au fil des phrases que nous allongeons avec des virgules pour préciser et nuancer le sens. Cela donne naissance à des circonvolutions, à des phrases à rallonges, comportant des détours, des parenthèses ouvertes, des points de suspension... En anglais, on appelle ces phrases des run on sentences, ou des fused sentences, or la culture américaine est tout sauf fusionnelle... 

Cf. chapitres suivants : Contexte/lien Langue "super glue" Oversimplification Bipolarité & culture

 

ABSENCE DE ZONE FLOUE

LE FLOU, LE SFUMATO

Si les peintres Impressionnistes français sont fascinants aux yeux des Américains, c’est parce qu’ils rendent la réalité floue, out of focus, blurred, insaisissable pour eux.  They cannot pinpoint it down. Ils mettent le doigt sur la zone occultée par l’œil, l’esprit et la langue américaine. Ainsi plongés dans un trouble que provoque notre zone de flou, de non-dit, qu’ils ne peuvent ni nommer ni saisir car de l'ordre du je-ne-sais-quoi, ils découvrent la beauté de la zone de gris qui passe au travers des mailles du filet de leur grille de lecture et s'adonnent parfois au plaisir du vagabondage. Là où le pinceau américain dessinera des contours nets sans bavure pour brosser un portrait léché, le putoisage et le sfumato esquissé par le coup de pinceau français, italien estompera au lieu de lécher les contours, laissant l’imagination construire le reste dans le flou suggéré rendant alors possible la zone d’interprétation, de malentendu et de tergiversation. Dans nos cultures implicites, le non-dit est plus important que le dit.

Le sfumato est à la peinture ce que la jachère ou le terrain vague est au jardin paysagé. L’embouchure d’un fleuve quand l’eau n’est plus l’eau douce de la rivière ni encore salée comme celle de la mer mais les deux à la fois, ni l’une, ni l’autre. La fin de la plaine, le début des montagnes, mais pas encore l’une ni l’autre. Une transition. Un passage. Une transformation. Un changement. Un dérapage. Une possibilité. C’est le subjonctif. C’est aussi la poésie, la nuance, le lire entre les lignes, c’est le rubato  de Chopin qui nous emmène ailleurs, l’art de la fugue… du rubato, on sort du cadre, de la ligne tracée qui évoque l’idée de la ligne de fuite ou du point d’évanouissement.

 


« Le danger en « Europe » est qu’ils ont trop de choses à dire, et trop d’autres choses dont se distinguer ; le danger aux États-Unis est qu’ils n’ont pas suffisamment de choses alentour – et doivent en plus leur donner suffisamment de ton et de résonance. » 1

Leur mise au point oculaire/linguistique consiste à faire un gros plan, telle une loupe sur un sujet, et à éliminer les zones de flou autour, et surtout de gommer tout rattachement au contexte. Les Américains ne peuvent que très difficilement obtenir ce qu’ils appellent the whole picture, trop concentrés et focalisés qu’ils sont dans l’approfondissement et la spécialisation, le tri par catégorie, la taxonomie.  Monochrones, ils font one thing at a time dans la compartimentation de la vie en  departments. Pendant longtemps le recensement aux États-Unis n’a pas tenu compte du concept de métissage, trop subtil mélange, il faudra attendre les années 60 pour que la Cour Suprême vienne légiférer. 2

1   Idem, page 495.

2   Chateaubriand dans les  Mémoires d’Outre-Tombe, Livres I à XII.  Les Classiques de Poche. Il nomme les métis des bois-brûlés.

COMPARTIMENTER SA VIE

Les termes en anglais pour désigner le rangement et faire le tri sont innombrables : rack, container, sorter, organizer, department, devider, holder, pigeon-hole, etc. Compartimenter sa vie, ses body parts Body parts, tout comme ses sentiments, se retrouve par extension dans le Container Store. Si vous entrez dans ce magasin, par ailleurs superbe, vous serez plongé dans leconcept des organizers, univers des solutions pour « ranger » votre intérieur et par la même occasion, votre vie. Vous pouvez même compartimenter des compartiments : des tiroirs, des dressings (closet organizer), votre valise, en vous faisant gagner 30% d’espace avec des sacs zippés pour faire le vide, littéralement. Même phénomène qu’avec les tupperwares et autres variantes pour mettre des aliments différents dans des boîtes individuées et à nouveau faire le vide. Vacuum cleaner... Ainsi, avec les Ziploc bags, peut-on trier, organiser à l'infini, en chassantl’air du conteneur devenu airtight. Le résultat étant un couvercle scellant un contenu, une catégorie dans un contexte désormais nommé, étiqueté et bien hermétique. Le Dieu Hermès n’a plus sa place. La fascination de la catégorie se décline avec cette autre forme d’organizers, d'agendas, qui segmentent le temps hebdomadaire et quotidien, des tableaux Excel découpent les heures et des activités sans qu’un lien n’apparaisse entre les différents items. Le tout est de séparer, cliver les activités, de créer des catégories et de trier pour qu’il n’y ait aucune ambiguïté et que les séries soient clairement énoncées. Vous pouvez consulter les listes des TopTen... on ne trie pas pour en faire quelque chose, mais seulement pour trier. Combler un vide.

LES DÉPARTEMENTS/RAYONS DE LA VIE AMÉRICAINE

Laguna Beach. J’écoute une interview avec l’actrice et chanteuse Cher. La journaliste fait le point avec elle sur sa carrière, sa dépression parce qu’elle avait arrêté de chanter quelque temps (phénomène explicitement nommé et courant aux États-Unis où l’on doit être toujours en activité sous peine de sombrer dans la dépression), ses diverses chirurgies  esthétiques... puis elle lance la question suivante : dans le « département de l’amour », cherchez-vous quelque chose de différent ? Are you looking for something different in the love department ? (sic). On utilise le terme department en anglais dans une université ou dans un supermarché. Vous avez le Romance Languages Department ou bien le Meat department, Fresh Produce department, Dairy Product department. C’est littéralement le rayon ! Or ici, dans le grand supermarché de la vie, cela comprend : le travail, la famille, le mental, le sport, la religion, les hobbies, le corps, les sentiments, la vie sexuelle. L’actrice-chanteuse passait en revue les allées de son supermarché intérieur mentionnant que, dans le rayon des sentiments, elle n’avait rien en stock !