ANGELENA
Angelena, portrait d'une Américaine par une Française
Par NMonsaintBaudry, publié le 17/02/2012 à 13:55, mis à jour à 13:55
« Ce qui paraissait évident était que l’Américaine avait été élevée dans un air où une centaine des dangers et des embarras « européens » n’existaient pas, et où elle devait également prendre l’initiative d’un certain apprentissage de la liberté. Ce n’était pas qu’elle avait eu, au sens vulgaire, à « prendre garde à elle », étant donné que l’essence même de sa position était de n’être ni menacée ni piégée, mais de pouvoir déployer son audace sur la base de sa sécurité, de même qu’elle pouvait déployer ses « pouvoirs » dans un milieu d’où était uniformément absente la critique. Ainsi est arrivé en plein épanouissement, sur la scène générale, l’objet le moins critiqué, en raison de son importance, qui l’ait jamais orné. Il serait long de dire pourquoi sa situation, dans cette rétrospective, peut faire vibrer de la manière la plus touchante la fibre intérieure du critique lui-même ; il peut seulement noter son sentiment que l’Américaine ne devait après tout avoir été qu’un jeu du destin. […] Quel besoin aurait-elle eu, sinon dans l’intérêt d’une discipline personnelle, de s’éloigner d’un cœur léger après avoir vu l’Homme, l’impénétrable homme américain, se retirer sous sa tente et fermer sa toile ? » 1
1 James, Henry, La Scène Américaine, 1907. Minos, la Différence, 2008, page 483.
OVER OU UNDER , TROP OU PAS ASSEZ
Toute femme résidant à Los Angeles ou dans la région est une Angelena quelqu’en soit l’origine ethnique. Ne prenez pas cette description à la lettre puisqu’il est bien évident que les variations sur le thème sont infinies. Néanmoins, je propose de brosser en quelques lignes, le portrait générique de la Californienne. La femme ici est toujours, selon nos critères français, soit over dressed - dans le meilleur des cas, trop habillée robe longue et strass, soit under dressed, trop informelle, en short ou tenue jogging en ville, dans le pire des cas. [...]
On peut dire la même chose de l’ Angelena. Elle est soit « fit » - en bonne forme physique extrême ou overweight/underweight ayant un problème de poids à manager (a weight management problem), parce qu’ici tout se manage. Elle n’est pas consciente de la « faute de goût » - concept intraduisible en anglais - que toute Française possède à peu près de façon innée.
Il n’y a pas de juste milieu. Quand l’ Angelena se maquille, c’est soit pas assez, le teint blafard, grisâtre, trop pâle ou trop bronzé, trop de fond de teint formant une croûte superposée sur la peau sans se fondre dans la carnation, trop de mascara, excès de rouge à lèvres trop rouge qui filera à cause des rides verticales « code-barres », qu’un chirurgien remplira par des fillers de collagène pour réparer les dégâts du temps. Autrement elle est non-descript . Trop de parfum de mauvaise qualité, inclassable, laissant une odeur entêtante et dérangeante dans son sillage, ou bien aucun parfum.
Il y a cependant un style californien « international », classy, de bon goût, d’inspiration Ralph Lauren, qui tend à vêtir l’ Angelena de beige, noir ou blanc cassé, un style assez dépouillé, avec quelques accessoires luxueux mais discrets. Elle se déclare casual chic et son intérieur sera shabby chic. Généralement elle conduira un 4X4 haut de gamme et vivra dans une maison californienne vintage. Le bronzage est démodé, vestige des années 80. La mode c’est d’avoir le teint porcelaine et clair toute l’année. D'une façon générale, rien n'est démodé, ringard, rien n'est à la mode à L.A. Tout peut être « in ». Les anchor women (qui présentent le journal télévisé des chaînes locales généralement avec un anchor man ), sont toujours en tailleur de couleur vive totalement improbable chez nous : orange vif, avec leurs déclinaisons d'accessoires orange, violet ou vert cru coordonnés. Comme si le tableau des couleurs complémentaires était scrupuleusement respecté. Elles sont toujours très apprêtées, très maquillées et les cheveux (trop) laqués. Il aura fallu certainement des heures de préparation pour tout « coordonner » et obtenir ce look « made up » et pourtant, l’ensemble manque souvent d’allure et reste disparate malgré tous les efforts déployés : dents trop blanches, cheveux trop tirés à quatre épingles, tailleur trop rigide, couleurs trop franches. L'idée du « juste milieu » traduisible en anglais par « happy medium » ou « right balance », « fragile equilibrium » est significative, « juste » et « milieu » ou équilibre instable ? [...]
Comment faire face à un tel sourire ? Impossible d'y implanter un base camp. Quel est le sens de ce rictus désarmant ? Desarming smile ? Est-ce pour cacher un manque de confiance profond ? Est-ce pour "montrer les crocs" ? C'est-à-dire que derrière ces dents blanches, se trouve une ténacité bien américaine ? Tout comme les branches d'olivier et les flèches de l'effigie du billet vert, l'aigle est prêt à négocier dans un premier temps, puis à répondre par la force dans un deuxième temps. On montre le sourire d'abord, on sort les crocs ensuite. Ou bien, est-ce pour garder la blancheur d'un émail enfantin, de dents de lait inaltérables et imperméables au temps, résistant aux attaques des sucreries et ramenant vers l'enfance à tout prix ?
En Amérique, il y a une obligation d'avoir de belles dents. Vous l'incluez dans votre budget au même niveau que votre remboursement de prêt immobilier. C'est votre première carte de visite.
Cela ne date pas d'aujourd'hui puisque ce phénomène est déjà évoqué par Henry James dans La Scène Américaine sous les termes de « sourire californien » [...] « exposant plus ou moins largement en cubes de précieux émail […]. Tout le monde, dans la « société », a de bonnes, belles, solides dents, et surtout les chérit et les entretient ; de sorte que le spectacle, qu’offrent fréquemment les autres sociétés, d’étranges protubérances, carences et caries, crocs, défenses et cavités, est absent d’une manière fort rafraîchissante et consolatrice. » James, Henry, La Scène Américaine, 1907.
QUALITY TIME
Elle aménagera du quality time avec ses enfants pendant la semaine et avec son mari le vendredi soir en allant au restaurant, chacun recevant sa dose d’attention personnelle, impliquant que le reste du temps non défini ne soit pas du quality time. Tout est normé. Elle est aussi et se dit high maintenance, c’est-à-dire de haute maintenance : manucure, pédicure, massages, make-overs. Parce qu’être féminine n’est ni inhérent ni naturel et c’est du hard work, you have to work at it. Ma belle-sœur m’avait dit quelque chose en anglais qui voulait dire à peu près cela : « vous les Françaises êtes naturellement féminines, pour nous c’est du travail. ( It’s hard work ! ) ».
AT LEAST SHE TRIES
La Californienne sait et elle répète souvent there is room for improvement, c’est-à-dire que l’on peut encore et toujours améliorer les choses, mais au moins : she tries hard ou bien tout simplement, at least, she tries, elle essaie. Elle sera abonnée à plusieurs magazines visiblement mis en valeur révélant ses passe-temps favoris : Martha Stewart, pour démontrer qu’elle est une excellente maîtresse de maison, Connoisseur Magazine, pour s’assurer qu’elle est « cultivée », etc. Vogue, Oprah Magazine, Bazaar, Bust, Shape, constituent les magazines les plus vendus dans lesquels les femmes trouvent réponses à tous leurs problèmes existentiels allant de la mode, de la gestion de leur poids à leur carrière, etc. À l’écran, Annette Bening, en tant qu’agent immobilier dans American Beauty, incarne parfaitement une version de la femme californienne, ainsi qu’Helen Hunt, jolie mais pas trop, intelligente et professionnelle. Meg Ryan dans sa version de the girl next door, la rend accessible à toutes puisque chacune peut se reconnaître en elle. Julia Roberts, qui incarne Erin Brockovich dans le film éponyme, représente la vie quotidienne et le courage de la single mom avec ses trois enfants en bas âge et un père absent (dans tous les sens du terme - deadbeat dad), qui va s’en sortir toute seule.
EXECUTIVE WOMAN
Si c’est une career woman, elle aura ses enfants tard avec l’aide de la procréation assistée, la demande extérieure au foyer est telle, qu’une live-in ou au pair est nécessaire pour assurer la relève. Elle s’habillera version « femme » de l’homme avec un ensemble/tailleur sans coupe particulière ni style, traversant les décénies, passe-muraille de couleur sombre, dress for success. La peau sera gainée de collants de couleur-chair malgré le temps extraordinaire (être jambes-nues n'est pas concevable) ou bien vaporisée grâce au air stocking spray permettant de couvrir ses jambes nues uniformément d'un voile halé pour donner l’illusion d’un collant ( stocking ) sur la peau nue… L’avantage étant que cela ne filera jamais. Elle conserve cependant un spray « anti-filage » dans sa boîte à gants. Le chemisier sera classique ( conservative) ne montrant aucun signe visible de soutien-gorge. Elle fera appel à un make-up artist ou fashion consultant pour ses makeovers et son personal coach la guidera en général. Elle assistera aux power breakfast meetings, power lunches, public speaking clinics, tennis clinics, etc. La voiture qu’elle conduit révèle son âge, son salaire, son rang... voire son parti politique et souvent son adresse : conduire une Jaguar ( a jag ) ou une Lexus envoie un autre message qu’un cabriolet BMW, Hummer, une Prius Hybrid, un pick-up truck ou un minivan. Les types de véhicules : convertible, sedan, station wagon, 4-wheel drive sont les modèles de voitures qui suivent les étapes de la vie et lifestyles de chacun. Une communauté se crée par lifestyle : la tendance des gens aisés est d’opter pour un mode de vie écolo guilt free : conduire une voiture hybride, vivre dans une maison LivingHomes, être abonné au magazine Dwell, s’habiller chez Patagonia, et faire ses courses 100% bio chez Whole Foods market. Quand on est très riche, c'est chic de faire simple, de faire comme si on était sobre, frugal et avoir le luxe d’afficher une conduite écolo qui coûte cher au bout de compte.
HIGH MAINTENANCE FEMALE
La femme américaine n’est pas féminine, elle est female. C'est la langue qui décide. Dans un formulaire où l’on vous demande d’inscrire votre sexe ( gender), le choix se présente entre mâle ou femelle. On comprend fort bien que le côté reproducteur et organes sexuels secondaires seront accentués d’où les augmentations (ou réductions) de poitrine (ou autre body part ) avec des implants de silicone. Les hair extensions augmentent instantanément la longueur des cheveux artificiellement et les faux ongles en acrylique leur donnent des griffes. Elle pourra également allonger ses cils, blanchir ses dents, porter des invisible braces pour les redresser, blondir ses cheveux encore plus blonds, lisser ses rides autour d’une tasse de thé pendant une botox party, porter du permanent makeup. Elle se rase comme un homme pour s’épiler ce qu’une Française trouvera contre-nature, assurant ainsi une repousse plus drue et une augmentation de sa pilosité tout au long de sa vie. Ce qui indique une vision à court terme et une gratification instantanée extrêmement éphémère.
JERSEY PANTS
JERSEY PANTS
L’Américaine abandonne et capitule aussi, she has given up. Selon les stades de sa vie. Surtout si ses moyens financiers sont limités, elle ne se teindra plus les cheveux, ne se maquillera plus, portera des vêtements jersey pants de mauvaise qualité de chez Sears ou JC Penney et ressemblera plus ou moins à « un » homme avec des XXL-T-shirts mal taillés. Elle portera des lunettes génériques sans signature de chez CVS. Ou bien elle n’aura aucun complexe à faire ses courses en bigoudis, jogging défraîchi, baggy pants, chaussons, cheveux trop violets par excès de déjaunissant pour cheveux blancs qu’on aura laissé poser « trop » longtemps, peu importe. J’ai toujours trouvé triste la vieillesse aux États-Unis et vieillies avant l’âge les femmes américaines. [...] Ce qui compte, c’est qu’il y ait du jeu. Les Américaines jouent et rient. Elles rient aux éclats. Elle glousse aussi, giggling comme des enfants. Je ris plus aux États-Unis qu’en France. La France, c’est sérieux. Fini de rigoler. Mais je me sens plus femme en France qu’aux États-Unis.
« Elle était installée là, elle se promenait et parlait, elle mangeait et buvait, elle écoutait de la musique, dansait à ses accents, et sinon s’amusait et traînait, achetait et vendait, allait et venait selon ses propres termes splendides, dans la splendeur matérielle environnante, dans un tableau élaboré, sur un arrière-fond riche et varié, qui pouvait bien la nourrir des plus belles illusions sur elle-même. » 1
1 James, Henry, La Scène Américaine, 1907. Minos, la Différence, 2008, page 167.
Derniers commentaires
Bonsoir !
Très touchée que vous ayez pris le temps de rédiger un avis si positif. Très heureuse de vous avoir touché.
Bien à vous
N
bravo !
votre texte sur le gout de la France est extraordinaire !
vous atteignez l'essence d'une impression impalpable unique car Française
jamais j'avais lu un tel condensé
merci
Bonjour et merci pour votre commentaire !
En fait, je ne souhaite pas faire cela sur FB car j’ai 1700 expressions... publier dans de bonnes conditions serait effectivement envisageable ! Merci !
Je ne suis pas éditeur, dommage ! Vous pourriez lancer un jeu sur FB. Trouver des expressions dynamique pour remplacer les déprimantes.