VAGABONDAGE
« Chaque substance simple est un miroir du même univers, aussi durable et aussi ample que lui, quoique ces perceptions des créatures ne sauraient être distinctes qu’à l’égard de peu de choses à la fois et qu’elles sont diversifiées par les rapports ou, pour ainsi dire, par le point de vue des miroirs, ce qui fait qu’un même univers est multiplié d’une infinité de façons par autant de miroirs vivants, chacun le représentant à sa mode. » 1
VAGABONDAGE
Je propose au lecteur de servir de miroir et d’adopter, le temps de la lecture, ma perspective sur Los Angeles, et de suivre mon point de fuite dans cette ville. Donnez-moi l’occasion de vous emmener prendre la tangente. Le terme anglais me plaît davantage : vanishing point, le guideline, littéralement : cette ligne qui guide. C’est le point d’évanouissement, là où disparaît la ligne de fuite, au-delà et en dehors du tableau, qui serait en musique l’art de la fugue.
À partir du moment où le peintre de la Renaissance, qui connaissait intuitivement la perspective -- de nombreuses « fausses perspectives » participaient de l’organisation des tableaux --, décide de la mettre en scène dans la composition de son tableau, du statut d’artisan, il devient alors un intellectuel, parce que l’idée de la perspective centrale, fait appel à l’infini et au rôle du sujet. À partir de cette invitation, on peut alors décider de rester dans le cadre et de visiter cette dimension commensurable ou bien de se hasarder hors-champ, de prendre la tangente et de fuguer. Clairement cependant, le tableau du peintre vous invite à rester dans les contours du tableau suggéré et de suivre le fil conducteur du monde qu’il crée pour vous qui s'impose à votre regard et votre conscience.
Enfin, parce que tout part du mot, et parce que le terme de prospettiva en italien, est à l’origine même du concept français de « perspective », qui signifie aussi avec la même vigueur « prospective », avec cette notion supplémentaire sur le mot français d'ouverture, de bifurcation possible pour aller de l'avant, telle qu’elle fut définie par Gaston Berger :
« Construire le présent à partir du futur, au lieu de le considérer comme une sécrétion du passé » ; une méthode qui s’emploie donc à transformer le présent, en fonction d’une vision de l’avenir ; qui suppose un effort d’imagination créatrice et de réflexion sur le possible, afin de vaincre la résistance, de surmonter et la peur et ... l’espoir ... »
« Nous avons à vivre non point dans un monde nouveau dont il serait possible au moins de faire la description, mais dans un monde mobile, c'est-à-dire que le concept d'adaptation doit être généralisé pour rester applicable à nos sociétés en accélération. » 2
C’est depuis cette « perspective accidentelle créée par l’art » comme la définit Léonard de Vinci, 3 que je vous invite à suivre mon fil d’Ariane dans ce dédale d’autoroutes.
Il me reste à préciser le point suivant : toutes les citations empruntées à Alexis de Tocqueville, ne furent ajoutées qu’après avoir écrit ma propre perspective sur une ville qui d’ailleurs, n’était pas encore née quand Tocqueville rédigea De la Démocratie en Amérique. J’ai lu l’intégralité de l’œuvre a posteriori -- promesse que je m’étais faite en 1994 -- alors que je passais du temps près de Tocqueville dans la Manche avec mes enfants, et que le bocage normand me poussait à visualiser Tocqueville de retour d’Amérique, imbibé du Nouveau Monde qu’il allait nous décrire dans son œuvre que je me devais de lire un jour. C’est chose faite. Tocqueville prônait non pas d’imiter les Américains, puisque de culture/nature différente, mais de leur emprunter la Démocratie comme forme de gouvernement inéluctable, désormais avec soixante ans d’avance sur la France. 4
Le fait d’avoir écrit cette perspective avant de lire Tocqueville m’a offert la grande liberté de capter les milliers de perceptions que j'avais accumulées pendant ma vie en Amérique pour les livrer sans qu'aucune distraction ne vienne m'encombrer l'esprit. Je connus ensuite le plaisir de découvrir, non sans stupeur, et au détour des chapitres, combien les intuitions de son œuvre trouveraient leur aboutissement dans la ville des Anges de ce début du XXIème siècle. J'ai alors entrelacé des citations dans mon texte, là où chacune trouvait sa place tout naturellement.
« C’est dans l’Ouest, qu’on peut observer la démocratie parvenue à sa dernière limite dans ces États, improvisés en quelque sorte par la fortune, les habitants sont arrivés d’hier sur le sol qu’ils occupent. Ils se connaissent à peine les uns et les autres, et chacun ignore l’histoire de son plus proche voisin. » 5
1 Leibniz, Monadologie, Flammarion, page 824.
2 Berger Gaston , Éducation et Prospective (source : Internet).
3 Da Vinci, Leonardo, Carnets de Notes , Gallimard, De la Perspective , page 374.
4 de Tocqueville, Alexis , De la Démocratie en Amérique. Tome 1. Éditions GF Flammarion . « Des Causes Principales », page 425.
5 de Tocqueville, Alexis, De la Démocratie en Amérique , tome 1, « État social des Anglo-Américains », page 113.
Derniers commentaires
Bonsoir !
Très touchée que vous ayez pris le temps de rédiger un avis si positif. Très heureuse de vous avoir touché.
Bien à vous
N
bravo !
votre texte sur le gout de la France est extraordinaire !
vous atteignez l'essence d'une impression impalpable unique car Française
jamais j'avais lu un tel condensé
merci
Bonjour et merci pour votre commentaire !
En fait, je ne souhaite pas faire cela sur FB car j’ai 1700 expressions... publier dans de bonnes conditions serait effectivement envisageable ! Merci !
Je ne suis pas éditeur, dommage ! Vous pourriez lancer un jeu sur FB. Trouver des expressions dynamique pour remplacer les déprimantes.