Nous savons intuitivement lorsque nous « enseignons l’interculturel », ou agissons en tant que facilitateurs ou consultants, que nous sommes bien évidemment dans un processus de problem solving, de résolution de problème… Nécessairement optimistes et hâtifs, pour faire avancer « l’ordre des choses », faire bouger les lignes et faire accéder aux bonnes passerelles. Nous tissons des ramifications. C’est l’interculturalité réussie, positive, pour autrui.
Néanmoins, au plus profond de notre être, nous sentons parfois que nous ne donnons pas assez dans l’exploration de cette zone « trouble » en nous. Nous nous précipitons vers sa clarification, par la force des choses, faisant le grand saut. Le malaise généré précisément dans cet instant suspendu, ce haut-le-cœur, ce non-dit, au cours duquel le sens, les sens, et le code nous échappent, nous contraignent systématiquement à l’occulter. Nous sentons que nous perdons pied, alors nous optons pour la certitude de la terre ferme, et ne nous attardons pas lors du passage du gué sur ces sables mouvants.
Ainsi ces « nœuds de complexité » restent-ils largement inexplorés, et les « cristallisations culturelles »* qui nous mettent en situation de faire l’expérience de « ces nœuds », sont-elles toujours décrites depuis l’extérieur (études de cas, mises en situation par les jeux de rôles, diagnostic d'une situation et suggestions de solutions rassurantes, etc…). Rarement sont-elles explicitement visitées de l’intérieur par le sujet. Parce que pour y avoir accès, il faudrait lâcher prise de ses certitudes et autoriser la vulnérabilité à nous envahir.
Certains moments dans la vie vous donnent parfois cette chance de mettre « ce tout » en perspective, et de regarder cet équilibre, cette belle construction qui ne va pas de soi… de la contempler, à l’instar du peintre, et d’essayer d’en rendre compte.
Nous sentons bien que subsiste un décalage entre ce que nous prônons, faisons émerger, chez autrui, et notre propre bi-culturalité plus ou moins bien assumée. Nous sentons que demeurent des nœuds de complexité, largement laissés en jachère, une certaine résistance, certains états auxquels nous n’avons pas encore pu/voulu avoir accès dans l’autre langue/monde… Un terrain vague non visité. Nous laissons ces espaces en friche dans notre esprit et notre expérience.
Puis, un jour, les choses se précipitent, un heureux accident, et il est temps de faire ces découvertes… Ceci ne signifiant pas de conquérir cette friche pour y mettre de l'ordre et la transformer en jardin à la française, ni même de vouloir aboutir à un dénouement, mais tout simplement de nous y attarder, de flâner.
Nous basculons alors par surprise dans la partie inconnue de notre être bi-culturel. Cela demande une prise de recul, une invitation à la rêverie, une mise entre parenthèses de nos certitudes, une autorisation à un certain flottement. C'est l’ouverture d’une brêche.
* Dans Être Française et Américaine, l'interculturalité vécue, je reprends à mon compte l'expression stendhalienne de cristallisation, forgée dans De l'Amour, pour nommer ces expériences interculturelles, ces instantanés de la vie, ces constellations qui s'offrent à nous sous de multiples facettes et dont nous ne pouvons saisir ou comprendre l'intégralité d'emblée. Comme chez Stendhal, l'idée d'un émerveillement, d'une surprise, fait partie de la description de la cristallisation; l'idée de l'espoir naît également, celui d'accéder après une période de doute, à une deuxième cristallisation, qui mène à une certitude.
Jan Siebert
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Nathalie Monsaint-Baudry
Thank you Jan!