Nouvel article inédit du 22 septembre 2014 - initialement rédigé le 1er février 2013 - pour Express Yourself et pour Le Cercle des Echos

Dans la Presse 

 

 

Il N'Y AURA PLUS JAMAIS MOYEN D'ÊTRE TRISTE

SOIGNEZ-VOUS !

 CONSIDÉRATIONS SUR L'INFLUENCE DE LA CULTURE SUR LA SANTÉ

Par Nathalie Monsaint-Baudry

Américaniste/Italianiste

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"Étranger, ma coutume est d'honorer les hôtes" 

Ulysse, L'Odyssée, chant XIV, v. 56-57 (VIe siècle av. J.-C.)

"Hélas : en quelle terre ai-je encore échoué ? Vais-je trouver des brutes, des sauvages sans justice, ou des hommes hospitaliers craignant les dieux ?" 

Ulysse, L'Odyssée, chant VI, v. 119-121 ((VIe siècle av. J.-C.)

"[...] en voyageant, ayant reconnu que tous ceux qui ont des sentiments fort contraires aux nôtres, ne sont pas, pour cela, barbares ni sauvages, mais que plusieurs usent, autant ou plus que nous, de raison ; et ayant considéré combien un même homme, avec son même esprit, étant nourri dès son enfance entre des Français ou des Allemands, devient différent de ce qu'il serait, s'il avait toujours vécu entre des Chinois ou des Cannibales ; et comment, jusques aux modes de nos habits, la même chose qui nous a plu il y a dix ans, et qui nous plaira peut-être encore avant dix ans, nous semble maintenant extravagante et ridicule : en sorte que c'est bien plus la coutume et l'exemple qui nous persuadent, qu'aucune connaissance certaine, et que néanmoins la pluralité des voix n'est pas une preuve qui vaille rien pour les vérités un peu malaisées à découvrir, à cause qu'il est bien plus vraisemblable qu'un homme seul les ait rencontrées que tout un peuple : Je ne pouvais choisir personne dont les opinions me semblassent devoir être préférées à celles des autres, et je me trouvai comme contraint d'entreprendre moi-même de me conduire" 

"Il est bon de savoir quelque chose des moeurs de divers peuples, afin de juger des nôtres plus sainement, et que nous ne pensions pas que tout ce qui est contre nos modes soit ridicule et contre raison, ainsi qu'ont coutume de faire ceux qui n'ont rien vu. Mais lorsqu'on emploie trop de temps à voyager, on devient enfin étranger en son pays. [...]

Descartes René, Discours de la Méthode (1637)

"Vérité en deçà des Pyrénées, erreur au-delà"   

 Blaise Pascal, Pensées, 294 (1669)

 

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SE FAIRE DE LA BILE

La grisaille automnale nous guette presque tous, et la morosité qui vient avec aussi. C'est normal, l'interaction entre climat, tempérament et humeur est démontrée depuis fort longtemps, chez Montesquieu dans De l'Esprit des Lois, comme chez Stendhal dans De l'Amour. Néanmoins, si au cœur de l'hiver, vous souffrez vraiment au point de sombrer dans une véritable dépression, alors "S.A.D." (Seasonal Affective Disorder), ce bien nommé acronyme est probablement le diagnostic qui sera posé. 

Dans notre littérature, nous retrouvons la tristesse sous le terme de mélancolie, qui en grec signifie : bile noire, d'où les expressions "se faire de la bile", "avoir un tempérament bileux". Cela remonte à Hippocrate et à sa théorie des humeurs : le sang, la lymphe, la bile jaune et la bile noire. Nous en connaissons toujours les quatre tempéraments correspondants et savons encore distinguer quelqu'un de sanguin, de lymphatique, de bileux ou de mélancolique. Or chez les Anciens, être mélancolique était un état noble, un état de tristesse normale voire encouragé, faisant suite à un deuil et non pas catalogué sous le terme négatif de dépression. D'ailleurs, un genre littéraire était couramment utilisé : les Consolations. Celles de Sénèque en sont une remarquable illustration. Depuis deux mille ans, il n'y a toujours pas, du moins à ma connaissance, de livre laïque plus intelligent  pour traverser l'épreuve du deuil (du latin dolor, qui donna douleur). 

Toujours selon Hippocrate, la rate était l'organe responsable de ce trouble dit "de la bile noire", organe traduit par le mot spleen en anglais et employé chez nous tel quel surtout au XIXème siècle, sous le terme de Mal du Siècle. Entre la Chute de l'Ancien Régime, la Terreur, la Chute de L'Empire, les jeunes générations d'alors furent progresssivement mises face à de nouvelles injonctions : Dieu est mort, vive le Positivisme ! Embourgeoisez-vous, enrichissez-vous ! Baudelaire illustrera mieux que tous cet état d'âme qui résulte en un poison noir poussant à se faire du mauvais sang, de la bile, engendrant la mélancolie. Tel le fruit amer d'une énergie qui ne pouvant être investie à l'extérieur, force à un repli sur soi, pour aboutir à une violence tournée contre soi. Cette mélancolie est illustrée dans le Spleen de Paris qui est le mal du vaurien. C'est ce que nous appelons aujourd'hui la dépression. On pourrait y lire une double contrainte (a double bind) damned if you do get rich, damned if you don't get rich. Enrichissez-vous mais ne vous enrichissez pas car c'est immoral. D'où cette errance, ce Spleen, cette mélancolie. Peut-être a-t-on décidé de tuer l'idée de Dieu au XIXème siècle pour sortir de cette double contrainte. 

TROUBLE OU DÉSORDRE ? 

Si maintenant les "troubles" mentaux, (je préfère le terme anglais de disorder ou de "désordre" parce qu'il est très explicite, comme on le verra par la suite), sont scientifiquement catalogués et si l'on distingue de nombreux degrés de dépression et de mal-être, nos expressions "être de bonne humeur", "être lunatique", ou "mal luné", sont encore comprises et anodines. Pour combien de temps encore ? 

Jusqu'à des temps récents, si un enfant était plutôt rêveur ou trop agité à l'école, une certaine forme de poésie émanait de ces appréciations : il se cherche, il prend son temps, il a du mal à se trouver, à grandir, ou bien il est plus manuel qu'intellectuel, il est fainéant, paresseux, voire bon à rien. Il y avait quand même de l'espoir. Il pouvait "s'en sortir" un jour, changer, car aucun verdict médical n'était posé sur ses petites épaules.

ÉPIDÉMIE, HYPER-MÉDICALISATION & ADDICTION

Quand j'eus mes enfants aux États-Unis (1988-1990), il était courant  d'entendre dire des enfants du même âge que les miens à l'école publique californienne, qu'ils étaient mis sous Ritaline, le médicament en cas de diagnostic d'hyperactivité. D'ailleurs, selon l'University of Maryland, entre 1991 et 1999, il y eut une augmentation de 500% de consommation de Ritalin aux États-Unis pour soigner ADD (Attention Deficit Disorder). Selon cette même source, pour information, les effets du Ritalin sur le cerveau sont considérés similaires à ceux des amphétamines. Selon les chiffres des Nations Unies, les États-Unis produisent et consomment 85% de la production mondiale de Ritalin. On peut se poser la question suivante : est-ce une épidémie endémique américaine diagnostiquée et soignée par la médecine américaine ? 

Une fois jeune adulte, il y avait de fortes chances déjà qu'il soit diagnostiqué comme souffrant de troubles bi-polaires, ou souffrant d'une borderline personality, et on lui administrait déjà des mood equalizer, des stabilisateurs d'humeur, voire des anti-psychotiques ou autres camisoles chimiques. Diagnostic devenu banal depuis les années 90, quand je fus témoin d'une véritable explosion de jeunes adultes labelisés borderline chez mes voisins californiens. C'est aussi à la même époque que les parents de ces mêmes enfants disaient explicitement qu'ils étaient sous Paxil, Xanax et Prozac. Vers trente ans, avec l'arrivée de la première dépression liée aux difficultés dites "normales" de la vie (déception amoureuse, divorce, licenciement, burn-out), les anti-dépresseurs et somnifères devinrent les béquilles moléculaires prescrites. Et je ne parle ici que des drogues légalement prescrites - legal drugs - qui incluent la marijuana médicale, medical marijuana, que les jeunes Américains obtiennent facilement par prescription dans les dispensaires de certaines villes et contés californiens, en prétextant par exemple, un mal de dos chronique. En effet, depuis 1996, la Californie a voté pour la proposition 215 dite the Compassionate Use Act, autorisant la consommation et la production de marijuana à la maison avec la prescription orale ou écrite d'un médecin pour soigner les patients souffrant de maladies chroniques ou de chronic pain. On l'oublie trop souvent, mais rappelons-le ici : en anglais, le mot pour désigner un médicament est drug. A priori, on penserait que seuls les malades souffrant de maladies telles que le cancer, le sida, la sclérose en plaques, ou en fin de vie seraient concernés par cette loi. Ceci est un leurre, masquant une aubaine pour les jeunes et moins jeunes de s'emparer de cette autorisation légale de consommer du cannabis, recreational marijuana, avec la bénédiction d'un médecin. Marijuana is a drug, un médicament et une drogue dans les deux sens du terme. Je doute qu'un jour, on ait le courage de parler de la réalité. Néanmmoins, pour mieux comprendre le paysage que je décris, il faut prendre en compte cette terrible réalité aussi : nombreux sont les jeunes garçons vulnérables, entre 18 et 25 ans, qui, ayant commencé à fumer à l'adolescence, finissent par décompenser massivement nécessitant l'internement dans un hôpital psychiatrique. Aux Etats-Unis, comme en France, les unités de psychiatrie connaissent très bien ce phénomène. On sait que la consommation régulière du cannabis chez ces jeunes souvent en proie à la dépression, peut doubler la probabilité de basculer dans la psychose, la schizophrénie ou dans la bi-polarité suite à une bouffée délirante aigüe. Personne n'ose en parler. Les intérêts du cannabusiness seront trop puissants visiblement.  Je vous laisse déduire les conséquences sur la santé mentale de nos populations lorsque l'on met bout à bout l'historique des troubles mentaux répertoriés depuis la naissance. Cf.  Addiction

Retour en France, sur un autre plan, il semblerait que la norme pour les jeunes soit de faire une école de commerce pour ne pas se poser trop de questions quant à leur futur professionnel. C'est presque devenu une épidémie d'une autre nature. Autrefois, on pouvait prendre le temps de faire ses Humanités, sa Médecine, ou bien d'apprendre un (vrai) métier, ne disait-on pas avoir un métier dans les mains ? On nous aurait donné le temps et une chance de faire notre place, il n'y a point de sot métier disons-nous. Sans cette période de gestation, non diagnosticable (ouf !) combien de philosophes, de scientifiques, de chefs-cuisiniers, d'écrivains, d'artisans, d'entrepreneurs, de réalisateurs, d'artistes - crancres notoires, labélisés décrocheurs de nos jours - auraient pu "se trouver", "s'en sortir" ? Une errance était autorisée car elle n'était pas jugée et stigmatisée. On sait maintenant qu'un bon nombre de gens hors du commun avaient un soi-disant trouble de la personnalité non-diagnosticable à l'époque. On ne manageait ni ne gérait la personnalité, on pensait tout simplement que c'étaient des gens différents, dans leur monde, avec leur propre rythme. Vous, moi, les autres. Ils finiraient bien par "trouver leur place" un jour. 

LES CATÉGORIES

Le terme "catégorie" vient du grec katêgoria qui signifie "accuser", parler contre. Enfermer quelqu'un dans une catégorie n'est pas anodin du tout. On retrouve cela dans l'expression : être catégorique, qui revient à dire que le verdict est sans appel. Je ne sais pas ce qui fait le plus de dégâts, entre qualifier un enfant d'être fainéant, ou le diagnostiquer comme souffrant d'un déficit d'attention ? Une chose me semble certaine, l'évolution dans l'élargissement de la précision des critères des diagnostics du DSM-5 laisse peu d'espoir à l'humain, à l'influence de la culture, aux circonstances, à la vie, au chagrin et ne s'adresse certainement pas à notre âme. Nous sommes bel et bien entrés nous aussi, que nous le voulions ou non, sans discernement, dans l'ère de l'hyper-spécialisation, du diagnostic au scapel et de l'hyper-médicalisation de nos humeurs.

DSM-5 ET LES CATÉGORIES 

Pour mieux en parler, je nous invite à compulser ensemble la référence en la matière, fruit de la recherche de l'American Psychiatric Association. Depuis mai 2013, le Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders (DSM-5) remplace le DSM-4 qui fut la référence en vigueur depuis l'an 2000. Il est d'ailleurs fort possible que cette publication soit passée inaperçue auprès du grand public. Il se peut néanmoins que nous devenions crazy like them, pour reprendre le titre de l'excellent Crazy Like Us: The Globalization of the American Psyche, de Ethan Watters, (Free Press, 2011), qui pense que la psychiatrie américaine est en train d'homogénéiser la planète, en exportant des maux comme l'anorexie à Hong-Kong qui ne connaissait pas ce trouble de l'alimentation.

En consultant le DSM à titre personnel et en tant qu'interculturaliste, je constate que les nuances culturelles ne sont effectivement pas encore permises, ou si peu on le verra. Par exemple, en psychiatrie française, l'équivalent de ce que l'on a longtemps nommé en littérature un coup de tonnerre dans un ciel serein, puis une bouffée délirante aigüe, est devenu un trouble psychotique bref et isolé - pathologie qui n'est pas vraiment reconnue dans la psychiatrie américaine qui considère ce "désordre mental" comme un "acute schizophenic episode" ou "acute psychotic episode". D'emblée le verdict de psychose aigüe tombe officiellement laissant présager une forte présomption d'entrée dans la schizophrénie. Il paraît qu'une personne sur cent dans le monde serait labélisée schizophrène. Une personne sur cent souffrirait de troubles bipolaires (on disait avant maniaco-dépressifs). Une personne sur cent souffrirait du trouble de la personnalité limite, borderline. Il resterait alors 97% de névrosés avec un potentiel de basculer à un moment de leur vie dans un "bref épisode psychotique". Personne n'est donc à l'abri. À cela, on ajoute la nouvelle catégorie sur l'autisme qui inclut le syndrome d'Asperger dans le nouveau DSM-5. L'autisme étant une autre nouvelle épidémie dont on n'entendait jamais parler il y a vingt ans.

Les maladies sont aussi culturelles, on le sait. J'avais été diagnostiquée en Californie avec the Yuppie Flu ou Chronic Fatigue Syndrome. Personne dans la France de 1990 ne connaissait ce syndrome ressemblant à un Epstein Barr/mononucléose/grippe chronique. Pourtant, j'étais bien malade avec des signes cliniques tels que de la fièvre, courbatures, maux de gorge, et mon propre pays ne nommait pas le syndrome dont je souffrais. Il n'y avait pas encore d'équivalent en France. En Californie, nous étions toute une génération : The Yuppie Generation, à être potentiellement exposés à cette maladie. Inversement, à la même époque, quand une maman française parlait au pédiatre californien des oxyures, ou des poux honteusement contractés par ses bambins dans les bacs à sable, ou dans la cour de récréation d'une école maternelle française, elle se voyait regardée de haut comme venant d'une culture inférieure et non civilisée. Les yeux du médecin exorbités puis levés vers le ciel signifiant que c'était au mieux des fariboles, au pire, de la sorcellerie : pas de ça chez nous. Certes...  

Avant mai 2013, si le phénomène dit de bereavement, le processus (terme déjà très clinique) de tristesse et de deuil qui suit naturellement la perte d'un être cher, durait plus de deux mois, un diagnostic de dépression majeure pouvait être posé. Il semblerait donc qu'une période de grâce de un à deux deux ans soit dorénavant accordée car estimée "suffisante", et acceptable médicalement parlant,  pour faire son deuil - exception désormais inscrite dans le DSM-5 sous le terme de bereavement exclusion. Par ailleurs, l'expression "faire son deuil", utilisée au XIXème siècle exclusivement pour parler d'une chose ou d'un objet dont on doit se résigner à se passer, n'est que récemment entrée dans notre langue pour s'appliquer à la perte d'un être humain. Ce glissement de sens brutal relève aussi d'un procédé rigide, on remplace un objet par un être aimé dont on doit brutalement apprendre à se passer. C'est vite expédié. Bon courage ! Si la tristesse perdure au-delà de la limite acceptable et si diagnostic il y a, un protocole de traitement pour corriger le "trouble mental" se verra alors logiquement proposé. Comme si tout pouvait être packagé en processus ? Good grief!

Culture latine, culture du lien, de l'attachement valorisé, contre culture anglo-saxonne, culture de la séparation, et de l'individuation valorisée. On notera au passage que le trouble d'anxiété de séparation (separation anxiety disorder), auparavant limité à l'enfance, est désormais généralisé aux adultes. On vous dira maintenant aussi que tout dépend de l'ocytocine, cette hormone de l'attachement. C'est là que le bât blesse pour les cultures du lien, de l'attachement, les cultures dites latines. Bref, ce n'est pas l'amour qui nous lie, c'est l'ocytocine. Les émotions sont réduites à une affligeante et consternante formule biologique. En préambule de ses Consolations, Sénèque n'a jamais donné une date de péremption à la durée de mélancolie consécutive à la perte d'un enfant. On ne quantifiait ni le chagrin, ni la douleur. Les Consolations de Sénèque sont toujours d'actualité 2000 ans après leur publication. Qu'en sera-t-il du DSM-5 dans 2000 ans ? 

De nos jours, on est vite suspect si une once de tristesse nous envahit. De mélancolique à romantique, il n'y a qu'un pas... qui sait si le futur DSM-6 n'introduira pas le genre "romantique" comme un nouveau syndrome du spectre dépressif ?... Goodbye Chopin, Proust, Lamartine, Chateaubriand, Victor Hugo, Shelley, Keats, Byron, Goethe, Berlioz, Rossini, Bellini, Donizetti, Mendelssohn, Schumann, Liszt, Brahms... 

Les catégories se précisent, les critères s'élargissent mais pour en adoucir les angles - politiquement correct oblige - les termes de "mental retardation" se mutent en "intellectual disability". L'autisme est devenu un "autism spectrum disorder", et une nouvelle catégorie a été créée : "behavioral addictions", s'adressant exclusivement aux adeptes des jeux ou gambling,  les effets sur le cerveau étant jugés similaires à ceux des drogues. Sur l'échelle d'évaluation de la catégorie dite "suicide", on observera l'entrée du binge drinking chez les jeunes ainsi que la reconnaissance du binge eating disorder

Exit ADD remplacé par ADHD, en français TDAH (troubles de déficit de l'attention avec ou sans hyperactivité). Dans la catégorie des troubles de l'humeur (mood disorders) chez l'enfant, welcome de nouveaux diagnostics à différencier du syndrome bipolaire et du syndrome d'oppostion : Temper Dysregulation with Dysphoria (TDD) et Oppositional Defiant Disorder (ODD) que l'on rencontre chez un enfant dit colérique, souvent hyperactif, pouvant être atteint du syndrome d'Attention Deficit-Hyperactivity Disorder (ADHD). Les Terrible Twos qualifie aux États-Unis, une période considérée normale dans le stade du développement d'un enfant de deux ans, qui se traduit par des crises de colère révélant une identité en train de s'autonomiser (et à laquelle il ne faut surtout pas toucher), rebellion qui est rapidement mise sous camisole à l'adolescence. Qui n'a pas été frappé, une seule fois dans sa vie américaine, par des scènes publiques fréquentes et frappantes, de colères gesticulantes et hurlantes d'une magnitude inconcevable en France ? En plein supermarché, un enfant hurle et se roule au sol car sa maman lui refuse quelque chose. La mère et les passants n'interviennent en aucun cas au spectacle, lequel spectacle peut s'éterniser. Jamais n'ai-je constaté de tels débordements comportementaux en France même avec des enfants dits "insupportables, difficiles ou caractériels". Le parent français essaie toujours d'intervenir pour calmer, réprimander, et au moins disparaître de la scène publique afin d'épargner autrui et de ne pas avoir honte de sa progéniture. Il ne s'expose pas à l'opprobe car opprobe il y aurait. L'enfant américain semble alors souvent "mal élevé" par rapport à l'enfant français du même âge, qui est lui capable de bien se tenir à table et de dîner de façon civilisée, et surtout de manger de tout. (Cf. La Guerre des Mums n'aura pas lieu). La crise d'adolescence, officialisée chez nous, n'a pas vraiment d'équivalent aux États-Unis puisque les Terrible Twos ont déjà annoncé l'individuation de l'enfant bien en amont, et toute rebellion est ensuite mise sous contrôle puisque canalisée par les divers diagnostics de troubles du comportement qui seront à manager.

Ce qui, en anglais, s'appelle decision tree pour nommer une arborescence, implique un verbe, to decide, appelant une action. La ramification devient en anglais une bifurcation radicalement différente, décisive et catégorique. Notre arborescence française reste plus floue, insiste davantage sur le feuillage, les ramifications de la frondaison constituée d'un ensemble de feuilles offrant une feuillaison. Alors que le decision tree insiste sur l'action de séparer, chaque item se trouve isolé, l'idée est d'affirmer une ligne de démarcation, d'introduire une différenciation, et de décider de créer une nouvelle catégorie. Désambiguïsation Zone de gris Oversimplification 

Nous arrivons ensuite au critère C qui apporte une distinction entre expérience culturelle et psychopathologie, en donnant comme exemple les transes shamaniques qui ne sont plus à considérer comme pathologiques puisque résultant d'une provocation volontaire de délire. Ouf, une toute petite exclusion culturelle. Dans le futur, la méditation bouddhique sera-t-elle différenciée elle aussi, comme un effort personnel pour s'extraire de l'ego...  ?

Le Gender Identity Disorder (GID) se voit rebaptisé : "Gender Dysphoria" et ne fera plus partie de la catégorie des troubles de la sexualité dits Sexual Disorders. Une nouvelle catégorie est proposée : Hypersexual Disorder ou désordre hypersexuel, le syndrome de Sexual Addiction n'a cependant pas été retenu. 

Les temps changent, certes, et visiblement les maladies mentales évoluent elles aussi. Par conséquent, les mots pour en parler suivent cette évolution. Le terme disorder en anglais devient dysfonctionnement ou trouble en français... il n'en reste pas moins que la notion de désordre demeure. Là-où le français est à l'aise avec le flou, l'anglais-américain ne l'est pas. C'est une langue du blanc et du noir qui a horreur de la zone de gris, elle choisit alors le rangement, la clarification, le tri, la désambiguïsation. On peut toujours créer une nouvelle catégorie à l'infini. Cf. Désambiguïsation Oversimplification

Bon, ne vous faites surtout pas de bile, si vous n'avez toujours pas trouvé votre catégorie, vous entrez probablement dans la case générique des Personality Disorders qui comprend : compulsif, narcissique, obsessionnel-compulsif, antisocial, introverti, antagoniste, évitant... Et si vous n'avez toujours pas trouvé, attendez, car de nouveaux "désordres" mentaux sont maintenant répertoriés : vous vous rongez les ongles ? Vous vous mordez les lèvres ? Vous mâchouillez l'intérieur de votre joue ? Ces critères font désormais partie des troubles obsessionnels-compulsifs. C'est à s'en arracher les cheveux, ne prenez surtout pas ceci à la lettre, la forme pathologique étant la trichotillomanie, qui est déjà inscrite dans le manuel précédent. Précrastinateurs et procrastinateurs attention...! Et si vous êtes ponctuels, attention à vous aussi... Qui sait si demain ces nouvelles catégories ne donneront pas naissance à de nouvelles épidémies ou bien alors ces épidémies émergent-elles massivement pour être ensuite nommées ? L'industrie pharmaceutique trouvera toujours de nouvelles molécules plus ciblées... Welcome le trouble de personnalité dépressive, le trouble du syndrome olfactif, le trouble de personnalité négative (passive-aggressive), le trouble relationnel, le trouble d'automutilation de la peau, le trouble de lenteur cognitive, etc. (traduction approximative). Il va de soi qu'un individu peut souffrir de deux dysfonctionnements en même temps (dual condition). Quant à ceux qui affectionnent les tatouages et le piercing, ainsi que la chirurgie esthétique de façon excessive, le BDD ou body dysmorphic disorder, trouble de dysmorphie corporelle ou obsession de l'apparence vous attend, l'hypocondrie en ferait aussi partie.

Si Emma Bovary était sûrement une parfaite Needy Desperate house Wife doublée d'une compulsive shopper ou shopaholic, le jeune Holden Caulfield de l'Attrape-Cœur de Salinger, traverse lui visiblement une psychose aigüe. Pourrons-nous encore lire Ésope, les Fables de la Fontaine, Le Malade Imaginaire, Le Misanthrope, Les Précieuses Ridicules de Molière, ou Les Caractères de La Bruyère sans diagnostic médical ? Comment lire Les Métamorphoses d'Ovide ? Interpréter la mythologie gréco-romaine et tous les archétypes ? La littérature mondiale est désormais susceptible d'être revue et corrigée à l'aune du DSM-5.

ÇA SE SOIGNE, DOCTEUR ? 

Évidemment, tous ces "désordres" mentaux... font désordre. Il faut donc les ranger. Les dysfonctionnements identifiés doivent être soignés. Une fois nommée, la pathologie peut être "managée", contenue par des traitements moléculaires, des thérapies. Bref, ça se soigne ! 

Bon, nous ne risquerons donc presque plus rien puisque nos mood disorders ou troubles de l'humeur sont maintenant systématiquement identifiés, catalogués, diagnostiqués, soignés, rectifiés et stabilisés avec des mood equalizers, Paxil, Xanax, Prozac, Fluoxetine, Zoloft, Celexa, Anafranil et autres nouvelles générations de molécules utilisées en anesthésie telle que la kétamine qui agit sur l'humeur en 24 heures. The faster, the better. Ça se manage (vite) tout cela ! Nous mourrons presque tous d'Alzheimer, peut-être pour oublier qu'on nous a demandé d'oublier d'être tristes, si bien qu'on finira par tout oublier. 

Est-ce le nouveau double bind des jeunes générations ? Dieu est (toujours) mort, à bas la Mondialisation, la Finance, le Libéralisme, tu ne t'enrichiras plus et surtout tu feras (quand même) ton MBA ou de l'ingénierie financière. On imagine le spleen insondable. Vite un anxyolitique... La marijuana - dont on minimise les effets secondaires sur le cerveau en la considérant toujours comme une "drogue douce" en France - la cigarette et la bière à flux tendu, sont l'absinthe et l'opium de la jeunesse du début du XXIème siècle. Au lieu de s'embourgeoiser, on se virtualise pour mieux échapper aux nouvelles doubles contraintes. 

NO PDA, PLEASE! (Public Display of Affection) 

Gare à vous ! N'affichez plus aucune "manifestation affective en public" : il faut être lisse, d'égale humeur, impassible, bien luné tous les jours, afficher un sourire insolent et éclatant de dents blanchies, un visage botoxé sans le dire, chanter Happy de Pharrell Williams, ponctuer d'émoticônes vos textos et surtout de happy faces vos postings sur FaceBook pour toujours "liker", l'option dislike n'existant pas. Et puis faites vos deuils rapidement et décemment en suivant des thérapies brêves, mais faites quelque chose, vite ! De grâce, soignez-vous ! Si vous révélez un seul "état d'âme", vous risquez vite un diagnostic. En anglais, état d'âme se traduit par frame of mind ou state of mind, ce qui fait penser à quelque chose de bien carré, d'encadré, et de statique, qui entre dans une case, une catégorie under control. Avoir des mood swings, des sautes d'humeur, être lunatique est un débordement out of line, qui sort des limites. L'équanimité est de rigueur. Épargnez à autrui vos hauts et vos bas. Goodbye le dégoût, le désespoir, le chagrin, la tristesse, la morosité, le cafard, le coup de blues, l'affliction, la déception, le dépit, le désagrément, la désolation, la peine, la souffrance, le malheur, la nostalgie... la vie ?

Enfin, qui sait si dans les futures mises à jour du DSM, le syndrome stendhalien, positif s'il en est, cet émerveillement jubilatoire, mêlé d'extase, de béatitude et de bouleversement tellement puissant face au Beau, au point de se sentir au bord du malaise tant l'émotion nous submerge, ne sera pas lui aussi réduit à faire son entrée dans une catégorie de débordements bizarres ? Le syndrome du voyageur (de Jérusalem, d'Inde ou de Paris) étant bien connu et répertorié comme allant de la simple névrose à une sorte de bouffée délirante aigüe. Goodbye l'enchantement, la félicité, le bouleversement, la joie, la jubilation, la contemplation, le transport, la vision, le pathos, la pamoison, l'extase, la béatitude, l'exaltation, le ravissement, l'euphorie, le plaisir, l'ivresse, le bonheur...  la vie ? 

Enfin qu'en est-il vraiment des bi-culturels ? Des couples mixtes, des expatriés, et du corps médical faisant face à ces cultures qu'ils ne connaissent pas et pour lesquelles une seule bible made in USA sert de référence internationale en matière de santé mentale ? Et qu'en est-il à un niveau individuel, familial ? Comment faire pour rester sain de corps et d'esprit, en étant issu d'une culture du lien, d'une culture implicite, du non-dit, du doute, de la fusion, (telles les cultures française, italienne, etc...), tout en vivant dans une culture qui encourage la séparation, l'explicite, la certitude, l'individuation, telle la culture américaine ? Quelles sont les conséquences réelles du grand-écart permanent entre des valeurs et des comportements paradoxaux au sein d'une personne qui pratique l'art du compromis permanent ? Après avoir abordé les mérites (réels) de l'expatriation (par choix ou contrainte), pouvons-nous enfin parler des conséquences de l'extranéité sur le bien-être et du prix à payer ? 

Alors, un petit coup de blues après avoir lu le dernier DSM5 ? Surtout pas, bien évidemment !  

 Cf. Bipolarité & culture Certitudes Oversimplification Out of the box? Bon courage & Enjoy

Nathalie Monsaint-Baudry, essayiste & américaniste 

Source chiffres ritalin : http://www.cesar.umd.edu/cesar/drugs/ritalin.asp

www.monsaintbaudry.com 

Autres articles conseillés :

La Guerre des Moms n'aura pas lieu Notre contributrice Nathalie Monsaint-Baudry est essayiste observatrice de la société américaine. Elle revient sur la couverture du Time Magazine, et explique pourquoi nous sommes victimes de "myopie culturelle". 

http://www.lexpress.fr/actualite/societe/la-guerre-des-moms-n-aura-pas-lieu_1115082.html

New-York in French

http://www.newyorkinfrench.net/profiles/blogs/de-la-soi-disant-sup-riorit-des-parents-fran-ais-et-autres-d

Désambiguïsation

Addiction

Body parts

Seedless & boneless

Extranéité

Contexte/lien

Process

Paper or plastic?

Zone de gris

Bon courage & Enjoy

Oversimplification

Café, decaf, non-fat

Idée de derrière...

Bipolarité & culture

Devons-nous vraiment penser en dehors de la boîte ?

www.newyorkinfrench.net/profiles/blogs/devons-nous-vraiment-penser-en-dehors-de-la-bo-te