La cuisine américaine vue comme un process à la «  Julia Child » supprimant tout degré d’impureté et d’erreur dans la bonne séparation du blanc et du jaune pour casser un œuf, empêche ainsi tout «  accident   » donnant lieu à une création. Julia Child eut le génie de pouvoir introduire le process dans l'art culinaire français afin de le rendre compréhensible, reproduisible pour les Américaines. Mais pour créer en cuisine, comme dans tout, il faut un certain degré d’impureté comme nous l’avons mentionné.

Faire quelque-chose from scratch signifie littéralement depuis la terre qu’on racle, tient du chef-d’œuvre ici plus qu’ailleurs. La mode des machines à faire du pain chez soi (dès les années 90) a redonné aux femmes américaines le pouvoir de diffuser chez elles l’odeur du pain frais cuit à la maison. Les œufs par ailleurs, pour donner l’illusion du vrai et du naturel, peuvent être achetés avec la mention fertile,   comme pour relier à la vie. J’ai à l’esprit le regard émerveillé d’Américaines me demandant si j’avais fait ma tarte aux pommes from scratch, c’est-à-dire que cela impliquait que j’aie aussi pelé deux livres de pommes. Parce que l'on peut également acheter des pommes déjà émincées pour vous faciliter la vie...

Généralement, l’Américaine dispose d’une cuisine complètement sur-équipée, trop propre, immaculate,  toujours à l’affût du dernier gadget : ¹ tous les engins à la mode, les chocolate fountains, etc. finissent en garage sales un an plus tard, par lassitude et sont détrônés par le dernier cri. La femme américaine généralement ne fait pas une recette from scratch.  Elle fait appel à ces shortcuts, par exemple aux mix, aux seasonings.  Les brownies, cupcakes, peanut butter cookies et autres spécialités américaines, se présentent dans des sacs d'ingrédients secs pré-mixés auxquels il faudra ajouter un œuf et de l’eau, le tour est joué ! Il faut que tout soit foolproof,  c’est-à-dire à l’épreuve de toute erreur possible. Pour ce faire, l’Américaine utilise des cuillères graduées (measuring spoons ) et des cups emboîtées comme des poupées gigognes, vous permettant de mesurer exactement la même quantité de sel, farine, sucre, etc. Il faut que cela soit scientifiquement mesurable, fiable et certainement pas artistiquement ni intuitivement faisable. On fait peu appel au guess work.

DE LA NÉCESSITÉ DE L’IMPRÉCISION DES RECETTES FRANÇAISES

En France, quand on lit dans une recette «  une cuillère à café  »,  il y a « café » et « café », encore faudrait-il s’entendre sur la taille de la cuillère : à moka, à dessert, à café... elles vont du simple au double ! Tout dépend donc de l’interprétation de l’idée de la cuillère. Il reste toujours une part de mystère, de non-dit, d'implicite dans une recette française permettant à chacun de « dévier », de faire entorse à la recette et d’y ajouter sa touche personnelle et de garder son secret. C’est l’inverse du process américain, moins on en dit, mieux c’est.