POT-POURRI-SCENTING OF AMERICA & COUPURE SENSORIELLE

 

POT-POURRI-SCENTING OF AMERICA

 

I DON’T WANT FISH THAT TASTES FISHY

 

Selon Joseph Campbell et Edward T. Hall, les bébés américains sont les plus dépourvus sur le plan olfactif. C’est le cas des bébés Angelenos, auxquels s'adjoint un handicap gustatif. Les premiers mois de la vie, ils sont essentiellement nourris de lait et de céréales, puis très lentement, les aliments les plus fades, whitish, beige, sont introduits : blanc de poulet, purée de pomme de terre. On évite en quelque sorte de choquer leurs papilles gustatives. On se plaindra plus tard de manger du poisson qui a goût de poisson : I don’t want fish that tastes fishy! Sur le plan olfactif, les shopping centers et les malls déploient leurs techniques de marketing sensoriel : le parfum desynthèse oscille toujours entre la cannelle, le pot-pourri, et la vanille. L’Amérique réinvente le neuf en permanence. Une expression courante est : you can’t make anything new out of old stuff.Tout me porte à penser que la quête olfactive et gustative de l’Américain est de retrouver le monde, en vase-clos, propre et paradisiaque de l’avant naissance. D’où cette obsession pour les déodorants, odor neutralizer, voire les anti-perspirants, ou bien cette exigence de poisson qui n’a pas goût de poisson littéralement, d’oeufs liquides en boîte sans cholestérol, de fromage jaune Velveeta en spray dépourvu d'odeur de fromage, révélant que la matière première, naturelle - telle quelle - est vulgaire et doit être absolument transformée, remaniée par l’homme, processed ou enriched pour éliminer tout contact réel avec la molécule première, celle du réel. Il faut éliminer toute souillure.

CLEANSINESS IS NEXT TO GODLINESS

L’expression Cleansiness is next to Godliness me confirme que plus c’est propre et sans odeur, plus on s’approche de l’idée de Dieu. Une purification spirituelle totale ne s’opère que par une purification des body odors et par un purgatoire gustatif. Pour les Français, toute création naîtde l’impureté, des accidents, du désordre, de la vie des bactéries; pour les Américains, l’innovation naît d’un process qui passe par un grand nettoyage préalable. Pourtant...

« Rien ne ressemble plus à une pensée nouvelle que ce tremblement, à la soudure fondue, à la jointure cassée, à la faille du langage. »

« L’oeuvre naît dans un creux retenu. » Serres, Michel, Le Tiers Instruit, E. F Bourin, 1991

« Celui qui voudrait voir comment l’âme réside dans le corps n’a qu’à regarder

comment ce corps use de son habitacle de tous les jours ; s’il y règne confusion et

désordre, l’âme maintiendra le corps en état de désordre et de confusion. »

Da Vinci, Leonardo, Carnets, Gallimard, Philosophie.

Paradoxalement, l’obtention d’un linge blanc pur n’est pas faisable en Amérique. Le cycle ultra-rapide des washers américains, ainsi que l’eau en prise directe sur le robinet d’eau chaude, ne permettent pas l’obtention de la blancheur du coton. Les machines lavent vite mais ne lavent pas bien. Mais qu’importe puisqu'on jette quand ce n’est plus assez blanc. Ce qui compte pour les énormes washers (machines à laver le linge) pantagruéliques, n’est pas la blancheur, mais la masse d'absorption de linge sale et la vélocité du job done. Tout doit sortir d’un cycle washer /dryer en moins d’une heure. C’est cela aussi la gratification instantanée. La qualité n’est pas visée, seulement le gain de temps. L’invention du permanent press, ou du pli permanent, a éliminé le repassage. On peut alors passer à autre chose de plus intéressant. Ne cherchez pas decordonnier, ils sont rares. Ici, on jette les chaussures. Finalement l'espérance de vie du made in China convient très bien au consommateur américain. Tout se passe comme si les choses devaient toujours avoir un aspect neuf almost new, like new, next-to-new, ce qui encourage à acheter du neuf : new, newer, brand new. La question récurrente étant : What’s new? Anything new? What’s up? What's next?

COUPURE SENSORIELLE

Le bébé californien étant très peu exposé aux odeurs naturelles et primaires dans sa plus tendre enfance n’aura pas l’expérience de la vie au sens réel. Il n’aura de cesse que la reconstituer par l’usage d’ersatz fort coûteux, et il ne sera jamais confortable dans un environnement naturel trop violent sensoriellement parlant. Ce qui explique la quête de l’Américain de se retrouver seul avec la Nature, Mother Nature, dans des National Parks, pour faire l’expérience directe d’un état pristine,  non corrompu par l’homme. Mais il fait cette expérience en étant très sécurisé et très équipé. L’homo americanus est le plus éloigné de la nature, le plus fragile et le plus dépendant du mode de vie américain. On parle de nature deprivation syndrome donnant lieu à des idées de création de business pour offrir à « la victime », un nature camp pour se désintoxiquer de la ville. Toute sa vie durant, l’air conditionné lui livrera une température parfaite, les glaçons dans son verre l’empêcheront de connaître la soif de façon réelle, le raisin sans pépin, seedless grapes,  lui facilitera la déglutition, idem pour la pastèque, et le poulet désossé : seedless watermelon, boneless chicken. Les  musiques d’ambiance ou (elevator music) l’empêcheront de connaître le vrai silence, puisque chaque vide sera meublé de sons superposés. Sa maison est isolée du monde extérieur par des moustiquaires, screen doors, bien que le Français constatera l'absence de moustiques et de mouches en Californie du Sud. Le feu de bois dans la cheminée, privé de combustion réelle, ne dégage aucune chaleur, et ne craque pas, c'est un faux-feu avec du faux bois (comme le faux-grass et le faux-fur), c'est une flambée silencieuse et froide. Avec les cures de detox, il sera débarrassé des toxines qui encombrent son colon et son foie. Il ne sera jamais seul avec lui-même, bien que solitaire dans la vie parce que séparé des autres. Il débarque sur la plage avec sa boombox pour que la musique masque le son de l’océan, sa glacière remplie pour « tenir » tout l’après-midi avec des bagages technologiques, des snacks en tous genres, des ventilateurs à piles pour le rafraîchir, et des brumisateurs pour l’hydrater. Il organisera même des activités (beach activities), qui nécessiteront un équipement de plage (beach gear) volumineux justifiant en partie que les voitures soient spacieuses : un monospace, RV, (un minivan, un station wagon, un pick-up truck).  Les condiments sucrés ou épicés, barbecue et ketchup, servent à dissimuler le vrai goût des aliments, les fruits et les légumes des supermarchés sont lustrés, brillants et cirés, waxed, pour qu’aucun lien ne subsiste avec la terre, dans tous les sens du terme. En anglais d’ailleurs, dirt, qui signifie terre, nous l'avons évoqué, signifie dirty, sale, souillé. Jamais ne sera-t-il en prise directe avec la nature sauf lorsque c'est explicitement organisé comme dans les mud games, ou bien dans un camp faisant l'expérience du grand air ou the great outdoors.

LIQUID DIET

Le succès des chaînes de restauration rapide bonne pour la santé, health food, good-for-you fast-food, (plutôt que junk food), smoothies ou juice bars à la Jamba Juice, est dû à la simplification des repas sous forme liquide qui court-circuitent l’étape de la mastication et l’utilisation de couverts. C’est une autre forme de shortcut. Biberon de l’adulte, ces concoctions roboratives composées d’herbes et de fruits, d’ajouts de vitamines passées à la centrifugeuse, censées booster le système immunitaire, constituent un délicieux repas rapide consommable sur place, en voiture ou au travail. Un dentiste américain m’avait expliqué que les dents de sagesse disparaissaient dans l’évolution puisqu’on s’en servait de moins en moins…